lundi 26 mars 2018

La mélancolie de la résistance - László Krasznahorkai - Extrait

   
     Aujourd'hui, j'ai mis les yeux sur les mots qui ont inspiré le célèbre film de Bela Tarr "Les Harmonies Werckmeister". Il s'agit des mots de László Krasznahorkai dans son roman: La mélancolie de la résistance:

 

 " ... quant à Valuska, il reçut son verre de vin et se retrouva très vite tout seul. Gêné, il s'écarta de la masse tumultueuse des vestes fourrées et des manteaux pour se réfugier dans un coin isolé derrière le bar et puisqu'il ne pouvait plus compter sur les autres, il se retrouva à nouveau tout seul pour poursuivre fidèlement, avec le même émerveillement, l'histoire époustouflante de la rencontre des trois astres, et ivre du bonheur procuré par le spectacle et par les clameurs exprimant selon lui la délectation du public, il contempla, en solitaire, le cheminement de la lune qui lentement glissait de l'autre coté de la sphère incandescente du soleil... Car il désirait voir, et il vit la lumière revenir sur terre, et il désirait vivre, et il vécut ce moment d'intense émotion où l'on se libère du poids écrasant de la peur, cette peur provoquée par une obscurité glaciale, angoissante, apocalyptique. Mais il n'y avait personne avec qui partager tout cela ou même en discuter, le public en effet - comme à son habitude -, lassé de ce " baratin creux " et considérant pour sa part que la représentation s'achevait avec l'avènement du crépuscule fantomatique, se mit à assaillir l'aubergiste dans l'espoir d'un petit dernier pour la route. Quel retour de la lumière ? Quelle chaleur ? L'émotion, la libération ? À cet instant, Hegelmayer - comme s'il avait saisi le raisonnement de Valuska - ne peut s'empêcher, trouvant ainsi involontairement la solution, d'intervenir : tout en replissant la "toute dernière tournée" il éteignit les lumières, ouvrit la porte puis, sur un ton indifferent, il se mit à hurler (" Dehors, bande de poivrots, tout le monde dehors ! "), en clignant des yeux de sommeil. "

La mélancolie de la résistance, pp. 113 et 114.

mardi 27 février 2018

Charles Péguy - Le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme

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     Nous sommes les derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil.

     Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles. Comme nous. C’est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent. Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre...