samedi 30 juillet 2011

Ait Menguelet - Amusnaw

Amusnaw est un Sage.
Mais ici Ait (appelé ainsi par ses fans) est plutôt entre
un "Si j'étais Un Sage... " suivi par mille et une possibilités d'un monde meilleur...
et un "Mais, je ne le suis pas..." suivi par mille et une vérités... amères.
Il est, finalement, qu'un poète entre rêve et réalité.

jeudi 14 juillet 2011

Technique de l'exil [Léo Ferré]


Dans cette nouvelle ville (le nom n'est pas important), je commence à reproduire mes habitudes parisiennes: déambuler, non sans but. J'ai fait beaucoup de librairies et rempli mon bloc-notes par les différentes réponses des aimables libraires à mon unique question: Quel est l'Oeuvre littéraire québécoise avec un grand L (rires)?

Dans ma recherche de la Nedjma québécoise, j'ai été abordé par l'Exil, d'abord à travers deux africains des deux Congos qui ont reconnu mon origine dans la revendication couscoussulaire de mes R roulés et par notre proximité du consulat d'Algérie. Nous avons parlé de l'Afrique qui souffre et des multinationales qui y profitent. Avant de les quitter, sans imagination aucune ni métaphore désuète, Une et seulement Une seule Colombe Blanche s'est posée à coté de nous. Un bon signe pour notre Afrique?
Puis, à la dernière librairie (je ne savais pas encore qu'elle allait être la dernière), n'ayant pas l'habitude de le trouver dans tous les étals, j'ai feuilleté ce recueil de poème, Testament phonographe, où j'ai trouvé le texte dont il est question ici. Il m'a d'abord accompagné à la caisse, puis sur un banc d'un parc qui porte un nom d'un autre poète disparu pour finir finalement dans une Grand Bibliothèque (La) pour le trouver sur la toile et le partager...

Pour accompagner votre lecture, je vous ai mis l'une de ses chansons choisie en tenant compte de la longueur du texte.


C'est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière qu'un jour ou l'autre nous prend l'envie de les larguer. La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l'intelligence. C'en est aussi une maladie qui nous mène à la solitude.

J'habitais avec des hommes. Aujourd'hui, je m'en soucie, de loin, et quand je marche, seul, dans mes pattes foulant l'herbe j'entends des musiques militaires ou je vois le Spectre de la Rose et le devoir d'oiseau de Nijinski. Une trappe ça s'invente, ça s'apprend. Dans ma trappe aujourd'hui, je vis avec une population car je suis devenu la population. Il suffit qu'un berger passe, avec son troupeau, pour qu'aussitôt je m'identifie au spectacle de la laine bientôt tondue, aux effrois de l'égorgement, aux fourrures prolétaires, aux protestations syndicales, aux carêmes chiffrés. Dans I'association de pareilles idées il y a ce mouvement irréversible de la pensée qui nous domine, ce déroulement totalitaire qui nous soumet à ce qui n’est pas nous, aux mots-pensées qui ne sont pas nos mots, aux racines imposées qui remontent aux calendes indo-européennes et qui maintiennent - au bord de ce que nous voulons bien croire être notre libre arbitre - Le psychisme barbare dont nous sommes encore les dépositaires.

L'exil est une forme de la réflexion. Les philosophes connaissent bien cette solitude de la méditation qui est un exil a portée de conscience. Derrière le regard de certains hommes j'ai vu quelquefois ce silence que rien n'altère, et dans "altere" il y a "autre" comme un déterminisme socialo-bourgeois qui m'empêchera toujours d'être tout a fait un exilé. Si je regarde, je reste seul, j'instruis une image, je suis une machine à perception. Si je contemple, je suis dans l'objet contemplé, donc, regardé. Je ne suis même plus dans le regard, les pôles ont changé. C'est l'objet qui me regarde. Je suis une pierre et, dans mon exil lapidaire, je suis à merci de qui me signifiera que je deviens jouet ou arme de lynchage. Nous sommes en définitive des objets a déplacer pour le confort du regardant.

Quand on ira plus vite que les voyages nous en aurons terminé avec nos manies déambulatoires. À ma table, assis, je déambule encore par le canal d'un atrium littéraire où je m'use et où je me complais dans cet offertoire ou la vanité du verbe le dispute à la fragilité de la connaissance. Je cherche un exil statique, sans yeux, sans mains, sans rien qui m'attache, et ma conscience lacée comme un soulier marche dans le vocabulaire. Je cherche une pensée sans image, sans mouvement, sans mot.

La grande misère du langage, signifiée à Rimbaud qui trouvait une couleur aux voyelles, nous contraint à une tonne de pensée stéréotypée, une pensée "maître d'hôtel" des mots. "Je trouvais une "odeur" aux voyelles" pourrait encore dire Rimbaud, A vernis, E menthe, I charbon, 0 foin, U éther. Et les consonnes ? On pourrait leur trouver un relief, une matière. B gras, C diaphane, D osseux, F papier bible, ou bien des sons, des fréquences d'oiseaux, des graves moelleux, un médium tranquille. L'alphabet passe par tous les sens. Rimbaud le prévoyait. Alors, nous pourrions peut-être entrevoir une littérature d'Unique. La littérature sans mots. Une littérature qui se mangerait, qu'on respirerait, qu'on verrait, qu'on toucherait, qu'on entendrait. Alors pourrait commencer la vraie solitude, ce pour quoi nous vivons : vivre dans les grandes largeurs, en face de problèmes simplifiés par des moyens d'appréhension originaux. Il faut que je puisse me regarder dans la fontaine sans faire de littérature.

Or, j'en fais.

Dans l'exil du miroir je fais de la littérature. Je suis une double question, un double désespoir. J'entre dans la légende de Narcisse. Je me poursuis. Je m'adopte. Je m'adore et je me tue. Quand je quitte Valéry je me coiffe et surveille mes tempes. J'éteins la lampe et j'y vois autant que dans un miroir à la Vermeer , la nuit. Un tableau dans la nuit n'existe pas. Un miroir non plus, ni moi. J'ai besoin du jour, de cette lumière qui se casse et qui me reflète un cadeau, une photo mouvante dans laquelle j'imagine être un autre me regardant. Si je me lâchais dans cette eau inventée, si je me voyais partir dans le fond de cette métaphore, pour n'être plus qu'un vouloir de réflexion, alors s'arrêterait mon temps d'homme pour que commence un temps plat. le temps de l'exil absolu : je verrais "rien" puisque je suis "rien". C'est dans cette pauvre aventure de voyance qu'il faudrait chercher la cause à notre besoin des Autres. Nous nous voyons en eux. Nous regardons toujours plus ou moins dans la foule, dans la rue déserte, dans un inconnu, une doublure. Cette putain qui me croise et qui me hèle, que suis-je d'autre pour elle sinon une fraction de sa prochaine fourrure, son café crème à croissants, sa note de gaz. Quand elle me voit je suis la nuit, je suis dans son domaine. Autrement je suis elle. Elle couche avec elle. Elle couche avec sa petite métaphysique de désespérée trottinante, enfin, quand je lui fais sa métaphysique... Elle, sinistrement, ne fait que ses viscères. Les gens qui travaillent avec leurs mains, avec leur corps, ne se cherchent pas de doublure. Ce sont les lucides, les poètes qui veulent entrer dans les autres, parce que ce sont des exilés. Alors, ils partent, ils partent... Les départs sont des répétitions de la mort : quand, au bout du quai. le train roulant déjà vite, on perd de vue l'être qui agite son fanion mouchoir, il se passe quelque chose, comme un bris de l'âme, et l'on entre dans le coma de l’absence qui est une mort figurée. À l'enterrement de l'exilé, l'exilé marche devant. C'est un mort debout, alimenté, en instance. Je n'aime pas les ports, ni les gares, ces antichambres du néant. Le partir n'implique pas la distance. Le partir c'est de l’imagination.

Que vaut-il mieux? Que tu sois à dix mille kilomètres de moi, que je te sache vivante, t'aimant, alors que tu m'as quitté, ne m'aimant plus, ou bien que tu gises au cimetière, moi habitant l'hôtel tout proche, et t'apportant des fleurs, et te parlant comme on parle aux choses, devant la définition même de ta condition de morte, ce silence pourri ? Je préfère te savoir à dix mille kilomètres de moi. Tu t'es certes extirpée de moi, tu m'as trompé pour "faire" du conflit mais moi je reste pour te "faire" du remords. L'exil que tu m'as fabriqué est une raison de m'exiler en toi, de te visiter dans les coins inhabités de ta mémoire et d'y pondre mon œuf. Je suis devenu le souvenir. Quand tu me passes dans ta visionneuse, c'est un faux de moi que tu vois, un moi de la veille. Les exilés ne vivent pas dans la mémoire. Ils vivent demain.

Pour m'exiler en Chine, il faudrait que ce ne fut pas la Chine , la vraie, avec ses Chinois. Il me faudrait une Chine spécialement aménagée. La Chine , pour moi, c'est souvent à quelques mètres de ma maison. Les Champs-Elysées, la forêt vierge, la lune. le passé simple, rien ne m'étonne comme l'ennui, cet exil marginal, cette solitude habitée, cette permanence sentimentale dans l'absurde. Je parle de l'ennui métaphysique et non de celui qu'on peut réduire par la satisfaction du manque qui I'a provoqué. Cet ennui domestique, je n'y vois qu'une prolifération d'échanges économiques mal assortis. Quand il fond sur moi, je sors acheter des cigarettes et cela m'immunise un temps. Le tabac ? Il faut savoir lui parler. Le tabac est un amant, dans les prisons ou devant la page blanche.

Les philosophes ont un code. C'est pour mieux masquer leur indigence d'exilés. La méditation, voie de garage, est aussi une impasse. Au bout de la méditation, il y a une butée, ce désir de revenir et de rentrer dans le siècle. Les grands solitaires portent en eux toute une génération de refus qui peuplent leur cabinet de travail et, quand ils méditent, ils ne retournent pas dans le siècle. Dans le refus on dresse l'oreille, on ouvre l'œil et on reste dans le refus. C'est dans la négation que l'œuvre d'art s'engendre. Nier les couleurs, mettre du mauve dans ce qui ne paraît pas mauve et s'appeler Gauguin, voilà qui est du refus transmis. L'art. La liberté est un renoncement. La liberté s'apprend dans une pièce carrée, fermée. C'est de la pure négation. Si quelques fous n'avaient pas dit "non", contre toute évidence, depuis que nous roulons sous les saisons, nous serions encore dans nos arbres. L'évidence, c'est la seule préoccupation du pouvoir. Le soleil se lève à l’est, pas vrai ? Vous autres de l'affirmative, vous ne m'intéressez. pas. Moi, je suis contre.

Je me propose, dans ma solitude définie, une morale non euclidienne. Le plus court chemin d'une pitié à I'autre, ce n’est pas une droite, c'est un sacré détour. Il m'importe que j'oppose à votre "oui" un "non" qui m'aille comme un gant ; il me faut ma pointure de "non". Mon refus est à moi et je ne peux le partager avec quiconque. Ma qualité d'artiste m'inclinerait, pensez-vous, à vous persuader. Mais je ne tiens nullement à m'inscrire sur vos carnets de téléphone. Je ne suis pas de vos connaissances. Quand je me rencontre, je m'évite, tellement je vous ressemble. Je trouve que la Révolte même n’est plus de mise. La Révolte , c'est une façon de rentrer dans la Cité. C'est une vertu tribale, une arme défensive. C'est une négation de complaisance. La Révolte - comme le Désespoir - est une forme supérieure. de la Critique , mais une critique silencieuse - informelle, diriez-vous, dans votre jargon de géomètres télévus - oui, informelle et monstrueuse, c'est pour ça que je ne la sors guère.

J'ai mis sur la table votre beau "révolver à cheveux blancs", André. Il est admirable. Il pourrait servir, savez-vous ? Il est là, tranquille, comme une bête tranquille aussi et qui attend le combat pour se mettre quelque chose sous la dent. C'est curieux, ce révolver qui se love sous le rayon de ma lampe. Il est juste derrière ma machine à écrire électrique. Il voudrait bien être électrique, lui aussi. Partir, comme ça, sous une simple caresse comme partent les caractères sous la caresse de mes deux doigts. Un seul doigt lui suffirait, juste un peu, sous sa gorge. Il meurt d'attente. C'est un vieux révolver, André, un très vieux révolver. Il meurt de vouloir être tiré "dans la foule, au hasard...". Il veut vivre sa vie de révolver, il a besoin d'une présence manuelle. Il a besoin d'être fini. Or, ce n'est qu'un morceau de métal. Je pense pour lui à une poche, à une gaine ; ça lui ferait du bien ce contact du tissu tout chaud, du cuir. D'habitude c'est froid, un révolver, ça meurt de froid dans la littérature. La littérature, c'est le révolver des impuissants.

Rien ne m'irrite comme la parole incontrôlée, tant qu'elle est la parole. La dictée automatique ? Il faut avoir I'œil sur son profond magnétophone encore qu'on puisse tricher. L'inconscient a ses moyens de contrôle, lui aussi. Il a ses flics. Il a aussi Freud qui l'a pris pour une maison de tolérance. La maison libido, sacré repaire d'exilés...

Je ne vous lâcherai vraiment que Ie jour où, vous lâchant, mon lâchage n'aura pour moi aucune signification. Et c'est difficile. Il y a les larmes, les valises et le spleen, mot anglais propre aux terreurs anglaises et qui donne de I'accent à notre cafard. Les larmes se partagent, les valises s'échangent, se vident, s'aident. Le spleen se porte seul comme une croix de brume. Jésus avait beau jeu. Son père l'avait reconnu. Il savait qu'il pourrait rentrer à la maison la tête haute. Ma maison à moi se trouve dans une contrée non homologuée, dans une dimension copine, sans Droit, sans Religion, sans Métaphysique, avec, bien entendu, un Antidroit et tout ce qui se fait de mieux dans l'Anti. C'est là que j'y tiens les clefs de ma maison d'Anarchie.

Je ne dis pas que je suis seul. Je ne l'écris à personne, non plus. La chose épistolaire est affaire de fourbe. Je suis un objectif et ne tiens pas à être Ie malade quêtant la potion. Une lettre, c'est un peu une quête. Pourtant, j'aime Ie courrier. J'aime donner la potion, qu'on me la réclame par Ie canal de ce personnage pour moi mythique qu'on appelle le facteur. Le facteur m'apporte du mythe : cette parole dans son corset de page d'écriture ou je surprends l'Autre dans toute sa glace. Une lettre est toujours pour moi une tragédie. Je n'y cherche pas le talent – Shakespeare m’écrit rarement - mais cette sorte de mise à nu encrée de l'âme et de la faim des gens - qu'elle soit biologique ou littéraire. Une lettre c'est un graffiti privé, une écriture obligée, une mise en scène. Ne pas ouvrir le courrier et I'entasser jour après jour, indemne, dans une malle du silence, comme le fit Satie. Génie de I'indifférence. L'indifférence est notre béquille à nous, les misanthropes.

L'œuvre d'art est seule. Le paysage que je regarde en ce moment, avec ses cymbales de soleil, parmi les arbres debout qui lancent leurs mains de branches à tout vent et semblent pointer je ne sais quel lieu géométrique, est une œuvre d'art authentique. C'est une œuvre de mon œil. C'est résolument incommunicable. L'œuvre d'art que l'on partage, le livre qui se propage à des milliers d'exemplaires, la musique qui s'emmagasine dans la cire, cette œuvre d'art est une concession. On est toujours la concession de quelqu'un ou de quelque chose. Chartres est une concession à la lumière qui perce ses vitraux et qui nous raconte une histoire colorée. Dans Chartres un silence est déjà marqué dans l'écho des voûtes. Chartres change à chaque seconde car le fuseau horaire qui fait le soleil et ses copains d'ombres et de lumières dévide le temps de la visite. C'est un peu comme mon paysage vu. C'est l'œil qui fait Chartres, à telle heure, à telle minute, dans ce treizième siècle qui n'en finit pas de se faire les yeux dans la vitrine d'en face. Chartres de la patine. Exil de pierres transfigurées.

Tout enfant chantaient en moi des symphonies. Cela montait du profond, de I'autre côté, avec une volonté de s'oublier aussitôt, de se finir en une sorte de goût de rien. Les idées fugitives ont un goût négatif. Cela vient d'un autre sens. Seul, dans le "faire", l'artiste rentre dans le rang par la publication. L'art finit par être une polycopie qui met Ie beau sur toutes les tables, dans la graisse des hommes qui bientôt chercheront d'autres sortilèges. Dans cinquante ans on n'écoutera Beethoven qu'après un reportage dans un journal à sensation. Un reportage sur sa surdité et sur I'ingratitude de son neveu. Il sera inaudible. Il sera "lu", électriquement. On n'écoute déjà plus la musique, on la laisse lire par Ie secteur de la Compagnie d'Électricité. Joli. La prostitution ça n’est plus une affaire de coin de rue. C'est une affaire d'Art. Les putains de la chose artistique devraient passer la visite. Encore que les morts, ça ne se visite guère. Et puis, ça ne coûte rien.

L'art littéraire est directement chez Ie consommateur. C'est un exil de compromis, entre la tour d'ivoire et Ie Café de Flore. Hugo, occultiste dérisoire à Jersey, exilé par destination, écrivait. Son exil me fait penser à celui des oiseaux. Ils partent et reviennent, affaire de confort thermique. Hugo à Jersey, oie sauvage, ne s'empêchait pas de crier pardessus les flots, dans cette romantique transcendance qui fait de l'artiste exilé, du "politique", un enfant chéri des prostrés, des vaincus, des déracinés, de ceux qui lissent leurs poings au fond de la poche en attendant des jours possibles. Il est utile que les poètes fassent de leur départ un dogme. On trouve toujours quelque néophyte. La religion du départ, pour ceux qui restent, est un transfert qui fait de l'idole et de I'adorateur deux complices. La colère imagée, écrite, de l'un se mêle à la colère latente et non formulée de l'autre. Cela fait une chaîne de fidélité dont Ie dernier chaînon s'accroche au Panthéon dans un exil funéraire de première grandeur, un exil grave. Hugo était dans l'homme jusqu'au cou.

L'écrivain est un homme de foule. Il s'engage, dit la philosophie présente. C'est un engagé unilatéral. Il signe sans savoir qui sera le partenaire de ses nuits d'insomniaque à cogiter le trouble et la générosité. Les impératifs sont agaçants. Je refuse de m'engager chez qui et pour qui

que ce soit. Je trouve l’engagement, avec ses adhérences politiques, d'une banalité démagogique hérissante. L'écrivain, aujourd'hui, écrit dans l'autobus. Il "existe" dans son patron et sa victime, le lecteur, qui n'est plus I'hypocrite de Baudelaire, mais le client sollicité, arnaqué à la vitrine de l'éditeur en vogue, Ie gibier des bandes publicitaires. On lève un lecteur comme on lève un lièvre et l'écrivain se trouve du côté des rabatteurs, chien famélique ou gras, toujours la gueule de l'autre côté de la vitrine. Ie côté rue. La culture, cet amoncellement d'autrui est au “pressing”, on la ravaude, on la repasse, on la comprime. On vous la met de force dans la poche. On encyclopédise le savoir. L'écrivain attend, à l'écurie, qu'on le sonne pour l'entraînement. C'est un silence qui le sonne : le silence des probabilités économiques, cette sorte de hasard sonore qui lui fait dresser l'oreille. À l'engrais, le poète invente des nouveaux langages. Le musicien aussi.

Bientôt l'artiste sera prié de prendre son service le matin à telle heure, dans un bureau agencé selon son rang et son plaisir : quelque chose d'agreste avec jets d'eau, jeu d'échecs, cendriers électroniques aspirant des idées de cendres, piscine alimentée par du champagne factice parce que le factice c'est déjà de l'art. La solitude y est prévue rationnelle, visible de l'extérieur, fonctionnelle pour le rendement. On pourra "voir". On saura que François Mauriac écrit avec un stylo-bille, un stylo-encre, un crayon. On connaîtra sa façon de tenir l'outil, dans le prolongement du bras, l'index saupoudrant I'idée force, Ie médius soutenant l’extraction de la métaphore, le pouce, à gauche, gardien de la rigide grammaire. On verra l'aventurier Malraux dans son aventure assise, le petit doigt sur la couture de ses cicatrices espagnoles. On verra les techniciens de l'imagination, en panne, se levant, baillant, répondant au parasite téléphone, revenant à leur métier, pestant contre Proust et sa persistante présence dans les lettres contemporaines.

Le poète dans I'homme jusqu'au cou ? Rodin, lui, était dans l'homme jusqu'aux mains. La sculpture est un dialogue. Le sculpteur n’est jamais seul. Il malaxe, et l'acte de toucher pour "faire" le dispense de toute vraie solitude. Le Bernin "faisant" l'extase de sainte Thérèse. on se demande combien cela lui a coûté, et dans quelle monnaie. La sculpture, art sexuel, ne se manigance qu'à deux. Les formes, le chemin de ronde selon le soleil posé ou incliné, les draps de marbre qui donnent de l'idée à l'esthétique, ce poids du vêtement à jamais enfilé, cette figure qui sombre d'une joie arrêtée, comme un plan de film qui fouillerait le millième de seconde, tout cela participe de cette exubérance de la matière trahie, cette matière devenue vivante et qui bouge sous la lumière, qui parle. Le sculpteur est père et mère à la fois. Glaise, marbre, pierre : il vit dans une maternité. Il transporte de I'humain. Il fait de la dimension. Il fait de l’amour qu'on touche. N'est pas seul qui veut...

Le peintre, lui, vit dans un tube. Depuis la photographie et ses images incontrôlables, il est devenu solidaire du spectre. Van Gogh, fou, à Arles, quand il sort de son tube, se coupe l'oreille. Entre les tournesols et le bordel, il y a une entremetteuse : la palette, cette frangine d'extase. C'est que le peintre vit dans un univers fini. Ce qu'il voit lui est étranger. Ce qu'il pense voir, dans I'exil du chevalet, voilà qui le retire du monde tout à fait, jusqu'a ce que les boursiers de l'histoire de l'Art s'en emparent pour en faire une valeur mobilière. Du tragique à l'économique il n'y a que le temps des larmes et la réflexion positive des marchands du beau qui violent les demeures solitaires des peintres.

Dans la lumière de soie de certaines estampes de Rembrandt, dans le lecteur illuminé de Redon, dans le fouillis divaguant du Samaritain de Bresdin, dans le premier état de la Notre-Dame interrompue de Méryon, il passe un peu de ce mystère du jour, de ce jour fabriqué avec du noir, qui fait du peintre-graveur un exilé au deuxième degré, un exilé dans le papier, dans la trame, dans le tréfonds de la pâte. Ceux-là, on ne les montre pas trop dans les musées : Ils font peur. Ils ressemblent à des filigranes.

Une dialectique de l'exil volontaire m'amènerait forcément aux confins du suicide. Mais on ne parle plus du suicide depuis Camus. Ce n'est pas "le" problème philosophique. Ce n'est rien d'autre qu'un crime retourné. Un crime négatif. Le remords qui m’en arrive par avance, comme une information d'avant le fait divers me tient quitte vis-à-vis de ce faux acte de nettoyage. Le suicide est un exil mis en scène, avec des tubes, des lettres et ces journaux du lendemain qu'on ne lira jamais. Tant qu'à être dans la Lumière , j'aime autant ne pas avoir à faire jouer les noirs.

J'attends.

Je tiens que le suicide du terroriste sautant avec sa propre dynamite ou que celui du kamikaze fonçant à bombes ouvertes sur l'objectif est un numéro de music-hall. L'ivresse d'avant le grand saut, ce suprême exil au-dessus du baril de poudre, cela fait partie des "variétés" du crime et je n'y crois pas. Je ne crois en rien d'autre qu'à une certaine tristesse, dans un matin de brume encombrée de toiles nocturnes des araignées orbitèles qui, tel Sisyphe, recommencent nuit après nuit leurs danaïdes tapisseries de gaze. L'inquiétante solitude de la Nature , à peine l'œil ouvert, ses arbres se serrant les uns contre les autres, emmitouflés dans l'espérance des oiseaux traqués, une fumée romantique et traçant dans Ie ciel tout proche un premier signe d'humanité, les pierres toujours recommencées dans leur graniteuse vanité, tout cela me traîne inlassablement vers cette mort des choses, des actes, de tout. Cette mort qui connaît seule, la technique de I'exil : la décomposition.

LE MOT, VOILA L'ENNEMI. II n'y a pas d'arbre sans le mot "arbre". Rien n'existe que je ne doive nommer. Par-delà les matins crispés de novembre, je pense à des étés de marmottes. Dans les soleils de givre de mon âme engourdie, je sue, mieux qu'au désert. Mon âme, ton âme. Si je ne puis nommer, je flanche. Les larmes ? Pourquoi les larmes ? Je suis né une métaphore au bec. Rien ne m'a surpris jamais que ma surprise n'arrangeât aussitôt en une scène ou deux de drame. Enfant, j'ai pris de la métaphysique au pis de ma mère. D'autres diraient du lait... Parlons-en de ce jus de principe. Au commencement était le lait. Moi, j'en reste au sceptre, aux sauces, à la sueur délicate qu'il m'est encore loisible de respirer aujourd'hui en reniflant sous moi. J'ai des aisselles barbues par où je pénètre dans le monde des obscurs, des hymnes, des jazz gras, des passions d'orthoptères. Lis donc la vie de ces insectes, c'est rupinant au possible. Je vis multiple.

La poésie ? Un glaïeul qui se pique, un ventre de fille ovipare, un paradis sous une chaise, avec un œil de verre. Je tiens que la vie n'y passe au travers qu’à force de poignets, d'ombelles noires, de paquets d'alpague, de riz. Rien ne me blesse et tout sourd, objectivité comprise - pour le mal être, l'anti-droit et la marelle à coucous. Nous avons cent ans, dix mille siècles, un pourpoint, un jet de caillou, un paravent japonais. Pourquoi une voûte ? Je meurs d'une solitude gothique, architravée... Misère !

Un jour je te dirai pourquoi j'écris. La poésie s'arrange toujours ; il suffit d'être là, truelle en main et sueur suintant au soir, devant la soupe, comme un maçon. Tu es maçon, je suis maçon avec au bout de ma plume des tonnes de ciment gueulant de soif dans le désert de mon "inspiration". J'ai une muse suspecte qui a des bas de châtaigniers toujours verts, des avoines à Mercedes et de I'eau claire qu'elle pompe à longueur de minutes séchées dans ma gourde frileuse. Et je musarde malgré ça !

J'ai le culte d'un certain désordre, une porte mat ouverte sur un assemblage imbécile où flirtent, maladroitement, une vieille page de garde d'un livre ancien, roux d'ennui, une grosse boîte d'allumettes, une paire de bretelles, une boîte à mauvais violon acheté pour rien chez un mauvais chineur, un tube de produit pharmaceutique, un emballage de film. J'ai le culte des mares où volettent des moustiques, des mouches, toute une floraison de veinules griffées d'ongles. Dans le désordre de ma maison, dans celui de la mare, je projette de m'aliéner, bêtement, fumant cigarette sur cigarette, grattant, ressassant dans le pénible crépuscule de la soixantaine des souvenirs que je voudrais bien équivoques pour mieux les immoler aux terreurs bourgeoises que je détecte jour après jour autour de moi. Je m'aliène dans les mots. Quand je dis : "Je vous méprise". je me donne à vous quand même sous le couvert d'un mot, d'une injure. Vous m'avez à portée de mépris, vous aussi. Je boite. Rien n'égale en ivresse cette attente au bout de l'ennui quand bâillent les violettes, quand plongent les lourds nuages de Baudelaire, Ici-bas, vers les météorologies secrètes et dont jamais aucun météorologue ne pourra dire I'exacte définition. Tout est dans tout. Mon âme ainsi, pareille aux désordres qui m'assaillent se trouve toujours aux confins des miettes, du regain, du déjà fait. J'arrive toujours en retard car je ne pars jamais. Et pourtant, je vis dans d'autres cas. Je me décline secrètement à I'aide de suffixes bien à moi. Je suis un langage fermé.

Les mots, voilà votre misère et ce par quoi vous êtes aux fers, irrémédiablement. Aucun espoir, aucune ouverture au-delà des pièges à sots. J'ai la vertu qu'il faut pour ne m'encanailler jamais qu'en connaissance de cause et de Code Pénal. Il est beau ce monument grave dans la mémoire des coups-dejatte.

On ne fait pas la poésie avec des tracts. On la fait avec sa gueule bien ouverte sur les verbes habituels et de préférence actifs. C'est par le style, où qu'il loge, que je me déshumanise et grimpe aux cimes du non-dit, de l'incontrôlé. Le style, c'est cette personnalité du doute enfin traqué. C'est une ombre en détresse qui cherche à se lover sous Ie soleil de l'admis, du tout fait, du symbolisme courant.

Le style ?

Chaque fois qu'il montre son bout du nez, la tourbe crie "au secours", elle se décharne pour s'épurer dans le conformisme. Le conforme est abject. Les parallèles d'Einstein me semblent fort à l'aise dans le triangle de I'amour. Tout se joint.

J'avais de l'écriture une opinion indescriptible. Le vent écrit des songes, des valeurs. Tel arbre ployant, à telle heure et sous l'énergie d'autan m'est un dessin furtif que je catalogue et qu'il m'est bien difficile de traduire. Pour traduire un paysage il faudrait que je me décapite.

Alors, il n'y aurait rien eu. RIEN : c'est un mot qui pratique une philosophie non gravitée. La seule dont on doive se méfier. C'est dans la dimension du rien que la loi se casse la figure. Je rêve d'une criminologie rétroversée. Sans crime. Une criminologie négative qui me servirait à monter des négatifs jamais vus. Je songe à des photos du "moins". La poésie ainsi formulée - dans le manque - obligerait à tout réinventer, ce qui est absurde. Un arbre "non arbre", un arbre innommé, autant dire qu'un sexe de femme est égal au chiffre 2546. Chez moi, je donne un nom aux chênes. Je les case, et les glands ne sont plus perdus. Ils m’en veulent de n'être plus dans cet anonymat du groin sentant craquer tout leur volume sous les dents de la bête. Ils souffrent dès lors de I'identité. Si je ne m'appelle pas, je ne suis pas. La vie sociale c'est de l'anthropométrie.

vendredi 8 juillet 2011

Un jour, je dirai que je suis de l'époque de Zimu


Ce message sera compris que par ceux qui sont en quelque sorte concernés.
Parce que, je veux dire un jour que je suis de l'époque de Zimu.
Ce jour là, j'aimerai qu'on me qualifie de démodé, de dépassé...
Oui, je suis dépassé, mais tu sais petit, je le dirai en kabyle, d-acu kan tezriḍ a ya ṭuṭaḥ, tu sais? Tu ne pourras pas comprendre. Je me contenterai d'une cette réponse. L'autre, le petit, croira qu'il sait. Mais il ne pourra savoir. Et il n'aura pas besoin de savoir... Et pour conclure, je le taquinerai par: Lui as-tu dit "Je t'aime" ou pas encore? Tenniḍ-as Ḥelmlaɣ-kem naɣ mazal?
Et il répondra, insolent: Je ne t'ai pas attendu, Ur krujaɣ ara...
Et, je finirai: Tu ne pourras jamais comprendre... tant mieux!

mercredi 6 juillet 2011

Pourquoi vous lis(i)ez?


J'ai vu, récemment, un ami que je n'ai pas vu depuis des années. Dans sa chambre, j'ai trouvé 2 livres. L'un deux est un grand pavé de Faulkner (Lumière d'août, presque 700 pages). Vu que le mien ne sert, pour l'instant, qu'à décorer ma bibliothèque, je lui ai demandé s'il l'a déjà lu? Sa réponse: Oui, cela fait longtemps, c'était à Alger (Il n'est plus à Alger!). Je lui ai tout de suite posé une autre question: Tu lis toujours autant qu'avant? Sa réponse: Non. Je ne lis presque plus!

Et maintenant que j'y pense je retrouve dans mon entourage d'autres cas similaires. L'ami en question (il se reconnaîtra s'il se remet deux secondes à lire ;) ) pendant sa période grand-lecteur était très maigre et ne s'assumait pas. Aujourd'hui, période qu'on va appeler Vie, il est musclé et se trouve beau (il en profite).

Si j'ose une généralisation, aidé par le fait que la lecture est avant tout un effort (du moins les premiers temps), puis-je dire qu'on lit parce qu'on est seul (marginal ou mal dans sa peau)? En conséquent, l'artiste (l'écrivain ou le poète) ne serait-il pas le marginal (pour ne pas dire le malade) qui aurait la "prétention" d'attirer les gens dits "normaux" (comme l'ami "présentement" ;) musclé) à sa marginalité?

Si j'ose un autre pas, qui choquerait mes amis-littéraire-émérites, l'art écrit peut-il vraiment remplacer l'art oral plus collectif? Comme le théâtre et son héritier le Cinéma. La littérature ne devrait-elle pas être partagée que lue?...
Si je fais un autre pas, je parlerais des cultures dites oracles et les cultures écrites. Les premières disparaissent non à défaut d'écriture mais du fait du dépassement de leur oralité (pas de TV, pas de théâtre, pas de production Cinématographique, etc.) pendant qu'elles sont bombardées par l'oralité moderne des cultures dites écrites. Mais je me contenterai seulement de vous poser la question: Et vous, pourquoi vous avez lu? ou pourquoi vous lisez? Vous av(i)ez mal?