lundi 25 juin 2012

RDV avec ses idées, 14 ans après l'assassinat de Matoub

Vivre dans les pays des autres...
Parler et Ecrire la langue des autres...
Rêver les rêves des autres:
Une extreme gauche au pouvoir...
Une province Libre et Indépendante...
J'en ai marre.
Mourir loin à petit feu, autant l'être là-bas à petit feu.
C'est décidé, je rentre en Algérie pour y mourir pour mes idées.
C'est décidé, Je rentre en Algérie pour y mourir en train de fuir; Harraga en pleins milieu de la mer sous un soleil de plomb!


Un certain 25 juin est assassiné un certain Grand-Homme, un certain Lounes Matoub.

dimanche 17 juin 2012

Extrait de L'Ultima Intervista di Pasolini



Nous sommes tous en danger 

Cet entretien s’est déroulé samedi Ier novembre [1975], entre quatre et six heures de l’après-midi, quelques heures à peine avant l’assassinat de Pasolini. Je tiens à préciser que le titre de la rencontre qui apparaît sur cette page est de Pasolini, et non de moi. En effet, à l’issue de la conversation qui, comme souvent par le passé, nous a laissés avec des convictions et des points de vue différents, je lui ai demandé s’il souhaitait donner un titre à cet entretien.Il y a réfléchi un peu, a dit que cela n’avait pas d’importance, a changé de sujet, puis quelque chose nous a ramené à l’argument de fond qui surgit continuellement dans les réponses qui suivent. “Voilà le germe, le sens de tout, a-t-il dit.Toi,tu ne sais même pas qui est en train d’envisager de te tuer. Choisis ce titre,si tu veux: ‘Parce que nous sommes tous en danger’.”

  Pasolini, dans tes articles et tes écrits, tu as donné de nombreuses versions de ce que tu détestes. Tu as engagé un combat solitaire contre un si grand nombre de choses, d’institutions, de convictions, de personnes, de pouvoirs. Pour ne pas compliquer ce que je veux dire, je parlerai de “la situation”, et tu sais que j’entends par là la scène contre laquelle, de manière générale, tu te bats. Maintenant je te fais cette objection. La “situation”, qui comprend tous les maux dont tu parles, contient aussi tout ce qui te permet d’être Pasolini. À savoir : tout ton mérite et ton talent. Mais les instruments? Les instruments appartiennent à la “situation”. Édition, cinéma, organisation, jusqu’aux objets mêmes. Imaginons que tu possèdes un pouvoir magique. Tu fais un geste et tout disparaît. Tout ce que tu détestes. Et toi ? Est-ce que tu ne resterais pas seul et sans moyens? Je veux dire sans moyens d’expression… 
Oui, j’ai bien compris. Mais je ne me contente pas d’expérimenter ce pouvoir magique, j’y crois. Pas au sens médiumnique. Mais parce que je sais qu’en tapant toujours sur le même clou, on peut faire s’écrouler une maison. À petite échelle, les radicaux nous en donnent un bon exemple, quatre chats qui parviennent à déplacer la conscience d’un pays (et tu sais que je ne suis pas toujours d’accord avec eux, mais il se trouve que je suis sur le point de me rendre à leur congrès). À grande échelle, l’Histoire nous en offre un exemple. Le refus a toujours constitué un geste essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels. Le petit nombre d’hommes qui ont fait l’Histoire sont ceux qui ont dit non, jamais les courtisans et les valets des cardinaux. Pour être efficace, le refus doit être grand, et non petit, total, et non pas porter sur tel ou tel point, “absurde”, contraire au bon sens. Eichmann, mon cher, avait énormément de bon sens. Qu’est-ce qui lui a fait défaut? La capacité à dire non tout en haut, au sommet, dès le début, tandis qu’il accomplissait une tâche purement et ordinairement administrative, bureaucratique. Peut-être qu’il aura dit à ses amis que ce Himmler ne lui plaisait pas tant que ça.Il aura murmuré, comme on murmure dans les maisons d’édition, les journaux, chez les sous-dirigeants politiques et à la télévision. Ou bien il aura protesté parce que tel ou tel train s’arrêtait une fois par jour pour laisser les déportés faire leurs besoins et avaler un peu de pain et d’eau, alors qu’il aurait été plus fonctionnel ou économique de prévoir deux arrêts. Il n’a jamais enrayé la machine. Alors, trois questions se posent. Quelle est, comme tu dis, “la situation”, et pour quelle raison devrait-on l’arrêter ou la détruire ? Et de quelle manière ? 

  Nous y voilà, décris-nous la “situation”.Tu sais très bien que tes interventions et ton langage ont un peu l’effet du soleil qui traverse la poussière. L’image est belle mais elle ne permet pas de voir (ou de comprendre) grand-chose.
Merci pour l’image du soleil, mais mon ambition est bien moindre. Je voudrais que tu regardes autour de toi et que tu prennes conscience de la tragédie. En quoi consiste la tragédie ? La tragédie est qu’il n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les unes contre les autres. Et nous, les intellectuels, nous consultons l’horaire des trains de l’année passée, ou d’il y a dix ans, puis nous disons: comme c’est étrange, mais ces deux trains ne passent pas là, et comment se fait-il qu’ils se soient fracassés de cette manière ? Soit le conducteur est devenu fou, ou bien c’est un criminel isolé, ou bien il s’agit d’un complot. C’est surtout le complot qui nous fait délirer. Il nous libère de la lourde tâche consistant à nous confronter en solitaires avec la vérité. Quelle merveille si, pendant que nous sommes ici à discuter, quelqu’un, dans la cave, est en train d’échafauder un plan pour se débarrasser de nous. C’est facile, c’est simple, c’est la résistance. Nous perdrons certains compagnons puis nous nous organiserons pour nous débarrasser de nos ennemis à notre tour, ou bien nous les tuerons les uns après les autres, qu’en penses-tu? Je sais bien que lorsque Paris brûle-t-il ? passe à la télévision, ils sont tous là à verser des larmes, avec une envie folle que l’histoire se répète, une histoire bien belle, bien propre (l’un des avantages du temps est qu’il “lave” les choses, comme la façade des maisons). Comme c’est simple, quand moi je suis d’un côté, et toi de l’autre. Je ne suis pas en train de plaisanter avec le sang, la douleur, l’effort qu’à cette époque-là aussi les gens ont dû payer pour pouvoir “choisir”. Quand tu as la tête écrasée contre telle heure, telle minute de l’histoire, faire un choix est toujours tragique. Cependant, il faut bien l’admettre, les choses étaient plus simples à l’époque. L’homme normal, avec l’aide de son courage et de sa conscience, réussit à repousser le fasciste de Salò, le nazi membre des ss, y compris de la sphère de sa vie intérieure (où, toujours,la révolution commence). Mais aujourd’hui les choses ont changé. Quelqu’un vient vers toi, déguisé en ami, il est gentil, poli, et il “collabore” (à la télévision, disons) soit pour gagner sa vie, soit parce que ce n’est quand même pas un crime. L’autre – ou les autres, les groupes – viennent vers toi ou t’affrontent – avec leurs chantages idéologiques, avec leurs avertissements, leurs prêches, leurs anathèmes, et tu ressens qu’ils constituent aussi une menace. Ils défilent avec des banderoles et des slogans, mais qu’est-ce qui les sépare du “pouvoir” ? 

  En quoi consiste le pouvoir, selon toi, où se trouve-t-il, à quel endroit,comment le débusques-tu? 
Le pouvoir est un système d’éducation qui nous divise en dominés et dominants. Mais attention. Un système d’éducation identique pour tous, depuis ce qu’on appelle les classes dirigeantes jusqu’aux pauvres. Voilà pourquoi tout le monde désire les mêmes choses et se comporte de la même manière. Si j’ai entre les mains un conseil d’administration ou bien une manœuvre boursière, je l’utilise. Ou sinon je prends une barre de fer. Et quand j’utilise une barre de fer, j’ai recours à la violence pour obtenir ce que je veux. Pourquoi est-ce que je le veux? Parce qu’ils m’ont dit que c’est bien de le vouloir. J’exerce mon droit-vertu. Je suis à la fois un assassin et un homme de bien.

samedi 26 mai 2012

Le souffle le plus long...

Une page est en train d'être écrite au Québec... Admirons, puisqu'on ne connait que l'admiration... En attendant l'inspiration... . ETC.


Discours pour
l’augure d’un temps
nouveau 


Bonjour, je me présente, Fermaille Tremblay, première du nom, symbole de la révolution étudiante, charriant l’amour de l’éducation et des gens qui la font. Je vous le dis amis, festudiants, jeunesse de ce monde, femmes hommes et enfants, vieillards et nouveaux-nés, virulente présence camaradesque; amours éperdus venus d’hier, participant là-bas, déjà, au jour comme une histoire où la hausse s’étonna d’elle-même et foutit le camp, émue du nombre. Amis, festudiants, jeunesse immuable, frayeurs des chemins, nous-mêmes qui possédons le printemps à bout de bras sommes aujourd’hui forcés de constater que nous manifestons à bout d’âme depuis huit semaines et ne sommes rien d’autre que les assoiffés du jour que nous étions en naissant.

Ce système et sa loi du « qui le vendra l’aura », on en a soupé. Nous choisissons de ne pas attendre que le ciel s’indigne pour nous prouver qu’un changement majeur ne passe pas toujours par la catastrophe irréversible :
- Voyons, où nous en sommes, à débrider le sens de notre devenir.
- Voyons, dans la révolution, notre inassouvissable appétit d’un monde meilleur.
- Munis d’un NOUS, rassemblés, voyons ce que le rêve nous permet.

J’énumère ici ce qu’au terme de la grève, le Québec d’après la victoire est destiné à être:

      1. Le Kébek sera un Kébek Étudiant vibrant de toute sa jeunesse folle. On l’aura vu naître depuis un Printemps Érable enraciné dans l’indignation et la quête de justice sociale. Nous connaîtrons sa pleine liberté, celle qu’on attend depuis trois siècles, et ce sera notre très grande faute.
      2. Le Kébek Étudiant se révèlera source d’une inspiration internationale et féconde partout dans le monde; il transformera les propriétaires en coopérants, les voraces en visionnaires, les asservis en rêveurs. Les idées folles seront reçues au parlement comme les seules valables.
      3. Au Kébek Étudiant, l’infantilisation dont nous sommes les victimes aujourd’hui ne sera plus pensable. Les paternalistes de ce monde se regarderont une fois pour toutes dans le miroir et constateront leur condescendance. Dès lors, nous marcherons avec eux, côte à côte, à la hauteur d’un regard franc.
      4. Ce Printemps mènera au pays de Kébek Étudiant, libre et souverain. Les réverbérations de notre affirmation identitaire seront à l’origine d’une transformation généralisée en Occident.
      5. Au Kébek Étudiant, nous ne parlerons plus de 1837 et des patriotes comme d’une défaite, mais plutôt comme du premier pas de la Grande Histoire de la libération du Québec ; 1837-2012.
      6. Par le fait même, le Kébek Étudiant renforcera son statut de symbole de la résistance culturelle en Amérique. Les puissances mondiales seront seules laissées à leurs névroses capitalistes soliloquant dans une langue de fin des temps.
      7. Au Kébek Étudiant, nous nous forgerons une fierté démesurée; nos penseurs, nos professeurs et nos artistes seront notre bien gardé. Ils nous formeront à leur image avec une envie irrésistible de transmettre leur savoir et leur talent. L’octave du don collectif s’élèvera en chacun de nous. Les récalcitrants finiront par céder à l’attractivité d’un projet commun.
      8. La femme aura son monument, sa statue, plus haute que le pont Jacques-Cartier, et cette statue rayonnera de par le monde.
      9. Le Kébek Étudiant ne sera pas reconnu pour le gaz de schiste et son goût vicieux du profit, mais plutôt pour le grand schisme de notre asservissement au néo-libéralisme grégaire et à l’hégémonie économique. Nous ne parlerons plus du Bouclier canadien mais d’un maillage solidaire, spécialement québécois, qui protègera nos ressources humaines et naturelles.
      10. Nous aimerons notre prochain comme l’élan commun qui nous pousse vers un avenir meilleur, fiers d’être arrivés à faire ensemble un lieu neuf qui nous ressemble, nous rassemble et nous raconte.
      11. Nous ne conduirons plus de chars au gaz.

Nous portons en nous un feu de foyer et du bois de poêle pour lutter contre la grande noirceur des idées individualistes chauffées au charbon. Nous sommes un boisé touffu; une sève sucrée nous coule par le corps fier, le corps enraciné comme un chêne, cet arbre qui a vu Radisson, Donnacona, qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. C’t’histoire-là est pas arrivée à l’ami de l’ami d’un cousin, c’est not’ histoire tricotée serré avec de la laine d’outarde, histoire braquée sur le devenir ensemble, quelque chose comme le début d’une fin dans un pays qui a eu chaud longtemps, qui eu peur pour sa peau, mais qui cette fois reprend le large avec tout sauf une allure de porte-ordure.

Le Kébek Étudiant éclate de par son centre fleurissant de lysée dans l’avenir émancipé.

Nous VAINCRONS.

Nous bloquerons la hausse, vers la gratuité, et plus loin encore.

FERMAILLE TREMBLAY.
Lu sur: http://fr.calameo.com/read/0001079885639e1cba2f5

mardi 22 mai 2012

Soubresauts - Samuel Beckett


1
Assis une nuit à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir. Une nuit ou un jour. Car éteinte sa lumière à lui il ne restait pas pour autant dans le noir. Il lui venait alors de l’unique haute fenêtre un semblant de lumière. Sous celle-là encore le tabouret sur lequel jusqu’à ne plus le pouvoir ou le vouloir il montait voir le ciel. S’il ne se penchait pas au-dehors pour voir comment c’était en dessous c’était peut-être parce que la fenêtre n’était pas faite pour s’ouvrir ou qu’il ne pouvait ou ne voulait pas l’ouvrir. Peut-être qu’il ne savait que trop bien comment c’était en-dessous et ne désirait plus le voir. Si bien qu’il se tenait tout simplement là au-dessus de la terre lointaine à voir à travers la vitre ennuagée le ciel sans nuages. Faible lumière inchangeante sans exemple dans son souvenir des jours et des nuits d’antan où la nuit venait pile relever le jour et le jour la nuit. Seule lumière donc désormais éteinte la sienne à lui celle lui venant du dehors jusqu’à ce qu’elle à son tour s’éteigne le laissant dans le noir. Jusqu’à ce que lui à son tour s’éteigne.

Une nuit donc ou un jour assis à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir. D’abord se lever sans plus accroché à la table. Puis se rasseoir. Puis se lever à nouveau accroché à la table à nouveau. Puis partir. Commencer à partir. Pieds invisibles commencer à partir. A pas si lents que seul en faisait foi le changement de place. Comme lorsqu’il disparaissait le temps d’apparaître plus tard à nouveau à une nouvelle place. Puis disparaissait à nouveau le temps d’apparaître plus tard à nouveau à une nouvelle place à nouveau. Ainsi allait disparaissant le temps d’apparaître plus tard à nouveau à une nouvelle place à nouveau. Nouvelle place à l’intérieur du lieu où assis à sa table la tête sur les mains. Même lieu et même table que lorsque Darly mourut et le quitta. Que lorsque d’autres à leur tour avant et après. Que lorsque lui enfin à son tour. La tête sur les mains mi-souhaitant mi-redoutant chaque fois qu’il disparaissait qu’il ne réapparaisse plus. Ou simplement se le demandant. Ou simplement attendant. Attendant voir si oui ou non. Si oui ou non à nouveau seul n’attendant rien à nouveau.

Vu toujours de dos où qu’il aille. Même chapeau et même manteau que du temps de l’errance. Dans l’arrière-pays. Maintenant tel quelqu’un dans un lieu inconnu à la recherche de la sortie. Dans les ténèbres. A l’aveuglette dans les ténèbres de jour ou de nuit d’un lieu inconnu à la recherche de la sortie. D’une sortie. Vers l’errance d’antan. Dans l’arrière-pays.

Une horloge lointaine sonnait l’heure et la demie. La même que du temps où parmi d’autres Darly mourut et le quitta. Coups tantôt nets comme portés par le vent tantôt à peine par temps calme. Des cris aussi tantôt nets tantôt à peine. La tête sur les mains mi-souhaitant mi-redoutant lorsque sonnait l’heure que plus jamais la demie. De même lorsque sonnait la demie. De même lorsque les cris cessaient un moment. Ou simplement se le demandant. Ou simplement attendant. Attendant entendre.
Il fut un temps où de temps en temps il soulevait la tête suffisamment pour voir les mains. Ce que d’elles il y avait à voir. L’une à plat sur la table et sur elle à plat l’autre. Au repos après tout ce qu’elles firent. Soulevait feue sa tête pour voir ses feues mains. Puis la reposait sur elles au repos elle aussi. Après tout ce qu’elle fit.

Même lieu que celui d’où chaque jour il s’en allait errer. Dans l’arrière-pays. Où chaque nuit il retournait faire les cent pas dans l’ombre encore passagère de la nuit. Maintenant comme inconnu à celui vu se lever et partir. Disparaître et apparaître à nouveau à une nouvelle place. Disparaître encore et apparaître encore à une nouvelle place encore. Ou à la même. Nul indice que pas la même. Nul mur repère. Nulle table repère. Dans le même lieu que lors des cent pas toute place telle une seule. Ou dans un autre. Nul indice que pas un autre. Où jamais. Se lever et partir dans le même lieu que toujours. Disparaître et reparaître dans un autre où jamais. Nul indice que pas un autre où jamais. Seuls les coups. Les cris. Les mêmes que toujours.

Puis tant de coups et de cris sans qu’il soit reparu qu’il ne reparaîtra peut-être plus. Puis tant de cris depuis les derniers coups qu’il n’y en aura peut-être plus. Puis un tel silence depuis les derniers cris que même d’eux il n’y en aura peut-être plus. Telle peut-être la fin. Ou peut-être rien qu’une accalmie. Puis tout comme avant. Les coups et cris comme avant et lui comme avant tantôt là à nouveau tantôt à nouveau parti. Puis l’accalmie à nouveau. Puis tout à nouveau comme avant. Ainsi de suite et de suite. Et patience en attendant la seule vraie fin des heures et de la peine et de soi et de l’autre à savoir la sienne.

2
Tel quelqu’un ayant toute sa tête à nouveau dehors enfin ne sachant comment il ne s’y était trouvé que depuis peu avant de se demander s’il avait toute sa tête. Car de quelqu’un n’ayant pas toute sa tête peut-on raisonnablement affirmer qu’il se le demande et qui plus est sous peine d’incohérence s’acharne sur ce casse-tête avec tout ce qu’il lui reste de raison ? Ce fut donc sous les espèces d’un être plus ou moins raisonnable qu’il émergea enfin ne sachant comment dans le monde extérieur et n’y avait pas vécu plus de six ou sept heures d’horloge avant de commencer à se demander s’il avait toute sa tête. Même horloge dont inlassablement lors de sa réclusion les coups sonnaient l’heure et la demie et donc d’abord en un sens de nature à le rassurer avant d’être finalement une source d’inquiétude en tant que pas plus nets à présent que lorsque amortis en principe par ses quatre murs. Puis il chercha du réconfort en songeant à qui le soir venu se hâte vers le couchant afin d’obtenir une meilleure vue de Vénus et n’y trouva aucun. Du seul autre son à animer sa solitude celui des cris pendant qu’en perte de souffrance il subsistait à sa table la tête sur les mains il en allait de même. De leur provenance celle des coups et des cris il en allait de même en tant que tout aussi irrepérable à l’air libre que normalement depuis l’intérieur. S’acharnant sur tout cela avec tout ce qu’il lui restait de raison il chercha du réconfort en songeant que son souvenir de l’intérieur laissait peut-être à désirer et n’y trouva aucun. S’ajoutait à son désarroi sa marche silencieuse comme lorsque nu-pieds il arpentait son plancher. Ainsi tout ouïe de pis en pis jusqu’à cesser sinon d’entendre d’écouter et se mettre à regarder autour de lui. Résultat finalement il était dans un pré ce qui avait au moins l’avantage d’expliquer sa marche silencieuse avant un peu plus tard comme pour s’en racheter d’accroître son trouble. Car il n’avait souvenance d’aucun pré du coeur même duquel nulle limite n’était visible mais d’où toujours en vue quelque part une fin quelconque telle une clôture ou autre manière de borne à ne pas dépasser. Circonstance aggravante en regardant de plus près l’herbe n’était pas celle dont il croyait se souvenir à savoir verdoyante et broutée de près par les divers herbivores mais longue et de couleur grisâtre voire blanche par endroits. Puis il chercha du réconfort en songeant que son souvenir du dehors laisssait peut-être à désirer et n’y trouva aucun. Ainsi tout yeux de pis en pis jusqu’à cesser sinon de voir de regarder autour de lui ou de plus près et se mettre à réfléchir. A cette fin faute d’une pierre sur laquelle s’asseoir à la manière de Walther et croiser les jambes il ne trouva pas mieux que de se figer debout sur place ce qu’au bout d’une brève hésitation il fit et bien entendu de pencher la tête à l’image de quelqu’un abîmé dans ses pensées ce qu’au bout d’une autre brève hésitation il fit aussi. Mais vite las de fouiller en vain dans ces ruines il reprit sa marche à travers les longues herbes blafardes résigné à ignorer où il était ou comment venu ou où il allait ou comment retourner là d’où il ignorait comment parti. Ainsi allait tout ignorant et nulle fin en vue. Tout ignorant et qui plus est sans aucun désir de savoir ni à vrai dire aucun d’aucune sorte et par conséquent sans regrets sinon qu’il aurait désiré que cessent pour de bon les coups et les cris et regrettait que non. Coups tantôt à peine tantôt nets comme portés par le vent mais pas un souffle et cris tantôt nets tantôt à peine.

3
Ainsi allait avant de se figer à nouveau lorsqu’à ses oreilles depuis ses tréfonds oh qu’il serait et ici un mot perdu que de finir là où jamais avant. Puis long silence long tout court ou si long que peut-être plus rien et puis à nouveau depuis ses tréfonds à peine un murmure oh qu’il serait et ici le mot perdu que de finir là où jamais avant. En tout cas quoi que ça pût être que de finir et ainsi de suite n’y était-il pas déjà là même où il se trouvait figé sur place et plié en deux et sans cesse à ses oreilles depuis ses tréfonds à peine un murmure oh qu’il serait quoi et ainsi de suite ne se trouvait-il pas à en croire ses yeux déjà là où jamais avant ? Car même un tel que lui s’étant trouvé une fois dans un lieu pareil comment n’aurait-il pas frémi en s’y retrouvant ce qu’il n’avait pas fait et ayant frémi cherché du réconfort en songeant soi-disant qu’ayant trouvé le moyen d’en sortir alors il pouvait le retrouver pour en sortir encore ce qu’il n’avait pas fait non plus ? Là donc tout ce temps où jamais avant et quelque part qu’il cherchât des yeux nul danger ou espoir selon le cas d’en jamais sortir. Fallait-il donc comme si de rien n’était pousser de l’avant tantôt dans une direction tantôt dans une autre ou au contraire ne plus bouger selon le cas c’est-à-dire selon ce mot perdu lequel s’il s’avérait négatif tel que malheureux ou malvenu par exemple alors évidemment malgré tout l’un et au cas contraire alors évidemment l’autre à savoir ne plus bouger. Tel à titre d’échantillon le vacarme dans son esprit soi-disant jusqu’à plus rien depuis ses tréfonds qu’à peine de loin en loin oh finir. N’importe comment n’importe où. Temps et peine et soi soi-disant. Oh tout finir.

jeudi 10 mai 2012

Piégé - Charles Bukowski


ne déshabillez pas mon amour
vous risqueriez de trouver un mannequin ;
ne déshabillez pas le mannequin
vous risqueriez de trouver mon amour

elle m'a oublié
depuis belle lurette.

elle est en train d'essayer un nouveau
chapeau
et paraît plus
coquette
que jamais.

c'est une
enfant
et un mannequin
et
la mort.

je ne peux pas haïr
une telle chose.

elle n'a rien
fait
d'inhabituel.

or je voulais
qu'elle le fasse.

vendredi 6 avril 2012

Portraits d'exil - Les mots fléchis


Au dernier jour de l'hiver, le café est bruyant de vie.

Elle pénètre seule, en s'immobilisant devant l'entrée; elle attend. Puis, il entre seul. Leurs regards ne se croisent pas. De la tête, Il fait signe vers une table, au coin là-bas, vide. Il avance. Elle le suit.

Il s'assoit. Elle s'assoit.
Pour fuir leur face-à-face, il et elle prennent deux journaux posés sur une table, à-coté.

Machinalement, il et elle s'arrêtent sur une page. Il et Elle lisent les titres puis, indifféremment, passent à une nouvelle page.
Il et elle ne comprennent rien à l'actualité, il et elle sont deux étrangers.

Au bruit des pages qui tournent, il se rend compte de l'absurdité de leur scène. Il ferme son journal, le remet à sa place, il préfère perdre son regard, au coin là-bas, vide.
Elle continue, elle s'arrête sur une page, elle lit les titres puis, indifféremment, passent à une nouvelle page.

Le sourire du serveur réfléchit péniblement sur Elle, comme si elle était toute seul, elle commande uniquement son café: un café s'il-vous-plait. Lui, impassible, comme s'il était tout seul, répète les même mots: un café s'il-vous-plait.
Elle continue à tourner les pages...

A la page des Mots fléchés, comme un repère de leur ancienne vie, elle retrouve son sourire, elle va à la rencontre du regard de Il, elle met le journal au milieu de la table...

Ils sont enfin ensemble en espace d'une grille...

mardi 31 janvier 2012

Le Livre de la Pauvreté et de la Mort (Rainer Maria Rilke)


Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes
solitaire comme une veine de métal pur;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.


Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante,
qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en toi dans un cri.


Toi, mont, seul immuable dans le chaos des montagnes,
pente sans refuge, sommet sans nom,
neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,
toi qui portes à tes flancs de grandes vallées
où l'âme de la terre s'exhale en odeurs de fleurs.


Me suis-je enfin perdu en toi,
uni au basalte comme un métal inconnu?
Plein de vénération, je me confonds à ta roche,
et partout je me heurte à ta dureté.


Ou bien est-ce l'angoisse qui m'étreint,
l'angoisse profonde des trop grandes villes,
où tu m'as enfoncé jusqu'au cou?


Ah, si seulement un homme pouvait dire
toute leur insanité et toute leur horreur,
aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,
et les chasserais devant toi comme de la poussière_


Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,
je ne le pourrai pas, car je ne comprends rien;
et ma bouche, comme une blessure,
ne demande qu'à se fermer,
et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens
qui restent sourds à tout appel.


Et pourtant, une fois, tu me feras parler.


Que je sois le veilleur de tous tes horizons
Permets à mon regard plus hardi et plus vaste
d'embrasser soudain l'étendue des mers.
Fais que je suive la marche des fleuves
afin qu'au delà des rumeurs de leurs rives
j'entende monter la voix silencieuse de la nuit.


Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents
où d'âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,
comme dans un linceul, des vies qui n'ont pas vécu


Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites;
la panique des incendies couve dans leur sein
et elles n'ont pas de pardon à attendre
et leur temps leur est compté.


Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond des nuits sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.


Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.


La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitants et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.


Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal;
ils rôdent, solitaires, autour des hôpitaux
en attendant leur admission avec angoisse.
La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas.


O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère.
Car nous ne sommes que l'écorce, que la feuille,
mais le fruit qui est au centre de tout
c'est la grande mort que chacun porte en soi.


C'est pour elle que les jeunes filles s'épanouissent,
et que les enfants rêvent d'être des hommes
et que les adolescents font des femmes leurs confidentes
d'une angoisse que personne d'autres n'accueille.
C'est pour elle que toutes les choses subsistent éternellement
même si le temps a effacé le souvenir,
et quiconque dans sa vie s'efforce de créer,
enclôt ce fruit d'un univers
qui tour à tour le gèle et le réchauffe.


Dans ce fruit peut entrer toute la chaleur
des coeurs et l'éclat blanc des pensées;
mais des anges sont venus comme une nuée d'oiseaux
et tous les fruits étaient encore verts.
Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes
qui, même aveugles, achèvent leur propre mort.


Oh, donne nous la force et la science
de lier notre vie en espalier
et le printemps autour d'elle commencera de bonne heure.

(Paris 1902)