mercredi 5 décembre 2012

Vive la rose - Film: Bruce Alcock - Chanson: Émile Benoit

Une chanson inspirée d'un chant traditionnel de la Terre-Neuve...



 Inspiré dune chanson d'Émile Benoit puisée dans le répertoire traditionnel francophone de Terre-Neuve, Vive la rose est le récit touchant dune histoire damour tragique, dans lequel un homme voit la femme quil aime emportée par la maladie. La voix de cet homme simple sélève noblement pour chanter sa mélancolie comme un ultime adieu. Mais le film est aussi un hommage au territoire, à la mer et au mode de vie âpre des pêcheurs, et cest dans cet ancrage à un coin de pays que sa beauté prend toute son envergure.

dimanche 2 décembre 2012

Enjoy pauverty - Renzo Martens

     On dirait un slogan qu'Orwell aurait oublié dans son célèbre roman, 1984:
"La pauvreté, c'est la richesse".

     La pauvreté nourrit les aides récoltées dans les pays riches. Celles-ci arrivent qu'à 25%. Le reste est partagé par évidement le Pouvoir en place mais surtout, chose naïvement impensable, par les Organisations Internationales : ONU, UNICEF, MSF, UNHCR, etc. On voit d'ailleurs que ces organisations sont concentrées, là où il y a des richesses! Par richesse, lisez ici, richesses comme l'or, le cuivre, le café ou le cacao! Les casques bleus, particulièrement, protègent les entreprises étrangères, au lieu de la population locale! 

     D'autre part, les photographes étrangers affluent pour immortaliser la pauvreté, la guerre et les violes (des sujets nécessaires à l'imaginaire et la charité de l'occident)! Les clichés apportent gros à ces journalistes pour qui le choix de la "situation" suffit pour que tous les droits soient leurs propriétés (et non pas la propriété  des "sujets" photographiés). En parallèle, on voit des jeunes locaux faire des photos d'anniversaires payés 1$ le mois. L'Afrique à genou est plus rentable que l'Afrique en fête!

     La pauvreté est la première ressource naturelle dans certains pays africains (le Congo, dans ce film).

     Je ne suis pas parti en Afrique mais j'ai regardé ce formidable documentaire de Renzo Martens: Enjoy pauvrty!

 

dimanche 28 octobre 2012

Cornelius Castoriadis - une leçon de démocratie

En 1989, Chris Marker filmait Cornelius Castoriadis. En hommage au cinéaste, disparu le 29 juillet, Mediapart a mis en ligne la version intégrale inédite de cet entretien avec le philosophe, décédé en 1997. Son propos est plus que jamais d'actualité : la démocratie, tout simplement.

lundi 15 octobre 2012

Le « discours » des cheveux - Pier Paolo Pasolini

      7 janvier 1973
      Le « discours » des cheveux


      La première fois que j’ai vu des chevelus, c’était à Prague : dans le hall d’un hôtel où j’étais descendu, sont entrés deux jeunes étrangers portant les cheveux jusqu’aux épaules. Ils ont traversé le hall, gagné un coin un peu à l’écart et se sont assis à une table. Ils sont restés assis un petite demi-heure, observés par les clients, dont j’étais; puis ils sont partis. Que ce soit alors qu’ils fendaient la foule attroupée dans le hall ou lorsqu’ils étaient assis dans leur coin à l’écart, il n’ont pas dit un mot (peut-être – encore que je ne m’en souvienne pas – se sont-ils chuchoté quelque chose : mais, je pense, quelque chose de rigoureusement pratique, d’inexpressif). 
      En effet, dans cette circonstance particulière – qui était entièrement publique, ou sociale et, dirais-je même, officielle – ils n’avaient pas besoin de parler; leur silence était rigoureusement fonctionnel. Et il l’était simplement, parce que parler était superflu. Ces deux jeunes gens se servaient, pour communiquer avec les personnes présentes, les observateurs – leurs frères de ce moment là – d’un autre langage que celui formé pas les mots. 
      Ce qui prenait la place du langage verbal traditionnel et le rendait superflu – en trouvant d’ailleurs immédiatement place dans l’ample domaine des «signes» dans le cercle de la sémiologie – c’était le langage de leurs cheveux

      Un seul élément – précisément la longueur de leurs cheveux tombant sur les épaules – contenait en lui tous les signes possibles d’un langage articulé. Mais quel était donc le sens de leur message silencieux et purement physique ? 
      Le voici : «Nous sommes deux chevelus. Nous appartenons à une nouvelle catégories humaine qui fait en ce moment son apparition dans le monde, qui a son centre en Amérique, et qui , en province (comme par exemple – et même surtout – ici à Prague), est inconnue. Nous constituons donc pour vous une apparition. Nous exerçons notre apostolat, déjà pleins d’un savoir qui nous comble et nous dépouille totalement. Nous n’avons rien à ajouter oralement et rationnellement à ce que nos cheveux disent physiquement et ontologiquement. Le savoir dont nous sommes remplis sera un jour également vôtre, et notre apostolat y aura sa part. Pour l’heure, c’est une nouveauté, une grande nouveauté qui, avec le scandale qu’elle suscite créé dans le monde une attente. Elle ne sera pas trahie. Les bourgeois ont raison de nous regarder avec haine et terreur, car ce en quoi consiste la longueur de nos cheveux les conteste radicalement. Mais qu’ils ne nous prennent pas pour des gens mal élevés ou sauvages : nous sommes bien conscients de nos responsabilités. Nous ne vous regardons pas, nous demeurons réservés. Faites de même vous aussi, et attendez les évènements.» 
      Je fus le destinataire de cette communication; je sus tout de suite la déchiffrer : ce langage privé de lexique, de grammaire et de syntaxe, on pouvait l’apprendre immédiatement, et puis, sémiologiquement parlant, ce n’était qu’une forme de ce «langage de la présence physique» que les hommes savent employer depuis toujours. 
      Je compris et j’éprouvais une immédiate antipathie pour ces deux jeunes gens. 
      J’ai, par la suite, dû ravaler mon antipathie et défendre les gens à cheveux longs contre les attaques de la police et des fascistes : j’étais naturellement, par principe, du coté du Living theatre, des Beats, etc., et le principe qui me faisait me tenir à leurs cotés était un principe rigoureusement démocratique.
      Les chevelus devinrent assez nombreux – comme les premiers chrétiens : mais ils continuent à être mystérieusement silencieux; leurs cheveux longs étaient leur seul vrai langage et il leur importait peu d’ajouter quoi que ce soit d’autre. Leur parler coïncidait avec leur être. L’indicible était l’ars rhetorica de leur protestation. 

      Mais ces gens à cheveux longs des années 1966-1967, que disaient-ils donc dans le langage inarticulé que constituait le signe monolithique de leurs cheveux ? 
      Ils disaient ceci : «La société de consommation nous dégoûte. Nous nous insurgeons radicalement. De par notre refus, nous créons un anticorps de cette société. Tout semblait aller pour le mieux, hein ? Notre génération devait être une génération de gens intégrés ? Eh bien, voilà ce qu’il en est en réalité ! Nous opposons notre folie à un destin d’ «executives». Nous créons de nouvelles valeurs religieuses dans l’entropie bourgeoise, et cela au moment même où elle allait devenir totalement laïque et hédoniste. Cela, nous le faisons avec une vigueur et une violence révolutionnaire (violence de non-violent !), parce que notre critique de la société est totale et intransigeante.» 
      Je ne pense pas que, si on les avait interrogés selon le système traditionnel du langage verbal, ils auraient été capables d’exprimer d’une manière aussi cohérente la sémantique de leurs cheveux : il n’en demeure pas moins que c’est cela qu’en substance ils exprimaient. Pour ma part, bien que j’aie dès lors soupçonné que leur «système de signes» était le produit d’une sous-culture de pouvoir, et que leur révolution non marxiste était suspecte, j’ai continué durant quelque temps à être de leur coté, en les incorporant aux éléments anarchiques de mon idéologie.
      Le langage de ces cheveux exprimait, même indiciblement, des «choses» de gauche. Peut être même de nouvelle gauche, cette tendance née dans l’univers bourgeois (dans une dialectique créée peut-être artificiellement par l’esprit qui règle, en dehors de la conscience des pouvoirs particuliers et historiques, le destin de la bourgeoisie).
      Et vint 1968. Les chevelus furent absorbés par le mouvement étudiant; ils s’agitèrent sur les barricades avec des drapeaux rouges. Leur langage exprima de plus en plus de «choses» de gauche (Che Guevara avait les cheveux longs, etc.).
      En 1969 – avec le massacre de Milan, la mafia, les émissaires des colonels grecs, la complicité des ministres, le complot noir, les provocateurs – les gens à cheveux longs avaient énormément grandi en nombre : quoiqu’ils ne fussent pas encore numériquement majoritaires, ils l’étaient pourtant à cause du poids idéologique qu’ils avaient pris. Maintenant, ils n’étaient plus silencieux : ils ne déléguaient plus au système par signes de leurs cheveux leur entière capacité de communication et d’expression. Au contraire, la présence physique des cheveux prenait, d’une certaine façon, une autre valeur. L’usage traditionnel du langage verbal était de nouveau entré en fonction. Je ne dis pas «verbal» par pur hasard. Au contraire, je le souligne. On a beaucoup parlé de 68 à 70 ! A tel point que l’on pourra s’en passer pendant quelques temps.; on a donné libre cours au verbalisme; et le verbalisme est devenu le nouvel ars rhetorica de la révolution (gauchisme, maladie verbal du marxisme !).
      Bien que les cheveux longs – réabsorbés dans la furie verbale – ne parlassent plus d’une façon autonome à des destinataires déconcertés, je trouvais malgré tout la force d’aiguiser mes capacités de décodage et dans le fracas, je cherchai à me mettre à l’écoute du discours silencieux et évidemment ininterrompu de ces cheveux toujours plus longs.
      Que disaient-ils, eux, à ce moment là ? Ils disaient : «Oui, c’est vrai… nous disons des choses de gauche; notre signification – même si elle ne fait qu’épauler celle des messages verbaux – est une signification de gauche… Mais… Mais…»
      Le discours des cheveux s’arrêtait là : il me fallait le compléter tout seul. Par ces «mais… mais…», ils voulaient évidemment dire deux choses : «1) Notre inéffabilité est de jour en jour plus irrationnelle et pragmatique : la prééminence que nous accordons silencieusement à l’action a un caractère sous-culturel, et donc, au fond, de droite. 2) Nous avons aussi été adoptés par les provocateurs fascistes qui se mêlent aux révolutionnaires verbaux (pourtant le verbalisme peut aussi pousser à l’action, surtout quand il en fait un mythe) : nous sommes un masque parfait, non seulement d’un point de vue physique – notre façon désordonnée de flotter fait se ressembler tous les visages – mais aussi d’un point de vue culturel : en effet, on peut très facilement confondre une sous-culture de droite avec une sous-culture de gauche.» 

      Je compris en somme que le langage des cheveux n’exprimait plus des «choses» de gauche, mais bien quelque chose d’équivoque, de droite-gauche, qui rendait impossible la présence des provocateurs. 
      Il y a une dizaine d’années, je pensais qu’un provocateur était pratiquement inconcevable (à moins qu’il n’ait été un très bon acteur) parmi nous, de la génération précédente : oui sa sous-culture se serait distinguée, même physiquement, de notre culture. Nous l’aurions tout de suite démasqué et traité comme il le méritait. Cela n’est plus possible aujourd’hui; personne au monde ne pourrait distinguer à son aspect physique un révolutionnaire d’un provocateur. La droite et la gauche ont physiquement fusionné. 
      Et nous sommes arrivés à 1972.
      Au mois de septembre, j’étais à Isfahan, au cœur de la Perse : pays sous-développé, comme on dit horriblement, mais, comme on dit tout aussi horriblement, en plein essor. 
      Sur l’Isfahan d’il y a dix ans – l’une des plus belles villes du monde, sinon la plus belle – est née une Isfahan nouvelle, moderne et très laide. Dans ses rues, vers le soir, on peut voir, travaillant ou se promenant, les mêmes jeunes filles qu’il y a dix ans en Italie : des enfants dignes et humbles, avec de belles nuques et de beaux visages limpides sous d’innocents et fiers toupets. Et voilà qu’un soir où je marchais dans la rue principale de la ville, je vis, parmi tous ces gosses de jadis, très beaux et pleins de l’antique dignité humaine, deux êtres monstrueux : ce n’était pas vraiment des chevelus, mais leurs cheveux étaient coupés à l’européenne, longs derrière, courts sur le front, rendus filasses par le peigne et plaqués artificiellement autour du visage par deux mèches hideuses au-dessus des oreilles.
      Que disaient donc leurs cheveux ? ils disaient : «Nous ne faisons pas partie de ces crève-la-faim, de ces misérables sous-développés qui en sont restés à l’âge des barbares ! Nous, nous sommes employés de banque, étudiants, fils de gens enrichis dans les sociétés pétrolières; nous sommes allés en Europe, nous avons lu ! Nous sommes des bourgeois : et nos cheveux longs témoignent de notre modernité internationale de privilégiés !»
      Donc ces cheveux longs renvoyaient à des «choses» de droite.
      Le cycle s’est accompli; la sous-culture du pouvoir a absorbé la sous culture de l’opposition et l’a faite sienne : avec une diabolique habileté, elle en a patiemment fait une mode qui, si on ne peut pas la déclarer fasciste au sens propre du terme, est pourtant bel et bien de pure «extrême droite».

      Je conclurai amèrement; les masques répugnants que les jeunes se mettent sur le visage, et qui les rendent aussi horribles que les vieilles putains d’une iconographie injuste, recréent objectivement dans leur physionomie ce qu’ils ont condamné à jamais – mais uniquement en paroles. Ils ont dénoncé les vieilles trognes de prêtres, de juges, d’officiers, de faux anarchistes, d’employés bouffons, d’avocassiers, de Don Ferrante, de mercenaires, escrocs et de bien-pensants canailles; et la condamnation radicale et sans discernement qu’ils ont prononcée contre leurs pères, en dressant devant eux une barrière infranchissable, a fini par les isoler et les empêcher de développer, avec leurs pères un rapport dialectique – même dramatique et passionné – qu’ils auraient pu avoir une réelle conscience historique d’eux mêmes et aller de l’avant, «dépasser» leurs pères. Au contraire, l’isolement dans lequel ils se enfermés – comme dans un monde à part, un ghetto réservé à la jeunesse – les a rivés à leur réalité historique; ce qui a impliqué – fatalement – une régression. Car, en vérité, ils sont allés plus loin en arrière que leurs pères, en ressuscitant dans leurs âmes des terreurs des conventions et des misères qui semblaient à jamais dépassés. 
      Maintenant, voici ce qu’ils disent, les cheveux longs, dans leur langage inarticulé et possédé de signes non verbaux, dans leur douteuse apparence de motif d’icône : les «choses» de la télévision, ou des réclames pour les biens de consommation, dans lesquelles il est désormais absolument inconcevable de présenter un jeune qui n’ait pas les cheveux longs; le fait est qu’aujourd’hui, cela paraitrait scandaleux au pouvoir. 
      J’éprouve un immense et sincère déplaisir (et même un véritable désespoir) à le dire : désormais des milliers et des milliers de visages de jeunes Italiens ressemblent de plus en plus à celui de Merlin. La liberté qu’ils prennent de porter les cheveux comme ils le veulent n’est plus défendable, parce que ce n’est plus une liberté. Le moment est plutôt venu de dire aux jeunes que leur façon de se coiffer est horrible, parce que servile et vulgaire. Plus, le moment est venu pour eux de s’en apercevoir et de se libérer de la préoccupation coupable de se conformer à l’ordre dégradant de la horde.

Corriere della sera, 7.01.1973 (Ecrits corsaires, Paris, Flammarion, 1976, pp. 25-33)

dimanche 9 septembre 2012

Soleil arachnide - Mohammed Khaïr-Eddine



soleil contus des éprouvettes                     
entre l'hiéroglyphe simple des arachnides

les mouchent regardent
mon occiput où le soleil tassé en fèces
fait un sinistre avec la terre crieuse de nos dépouilles
vieux faussaire
je décrasse un poète tombé dans ses rétines
un poète qui ne dit pas aux lunes
son nom comblé de fosses jalouses d'astres
et qui inventorie les dents vertes du dégel
myriade buccin sextant protoplasme résine
où l'oeil sacrifie la légende intentée
aux carcasses mal cadenassées des myriapodes
prudemment par les geôles bées des rancunes
les rengaines inextirpées dictent mon élan
bicyclettes trappe coeur jeté tel vieux bloc
 d'anciennetés à sac et de futurs rentrés
dans les grimaces du froid donneur des mots-cavernes


les pèse-mémoires ont fendu comme élytre
l'aciérie fauteuse
de rejetons d'oiseaux hennissant pour un cistre
d'ors frappés du simulacre d'ailes
où gigote l'absence inouïe des involucres


frénésie faste éclipses alcool
avec cette tranchée qui ne répond
des guerres données par ma mémoire
oubliée des saints rompus tel hages bigles
sur ce ciel chu
parmi moi seul où la tribu jette ses vermines


Midi, la ville. Faction, sarbacanes, philtres. Les enfants jettent des fûts sur les carrioles. Affaire tirée au clair. L'Arme m'entend. Je suis assis sur un amas de journaux et de rêves mal commentés. Je grouille : pentatomes. Ni printemps, ni été. Sommeils et oiseaux morts, atteints d'un songe inacceptable. Je fume kif et ciel. Les stalactites en auront pour l'éternité. Derrière moi, un trône à démettre.


Pertuis de mer. Grande ou petite. Pélamide. Au marché, même statues. Le coiffeur érige un koutoubia dans cette rue fichée avant l'Ordre. Ses cheveux m'ont colporté. Plus rien. J'enquête. L'étoile va son triple fil : torturée. Comment a-t-on pu la chanter? Rouge-verte! Cent dictons l'assument.


L'Afrique est un véritable uniforme. Grilles. Je te dégomme. Lumière à contre-joie. Affres et gloire. Dans le coeur vide de l'épine, la contiguïté acclame mon oeil. Ce sont les silences, les grandes syncopes. On cloue des polyptères sur mon échine mieux arrosée qu'un visage de prophète. De mes paumes gicle l'aube. Tiens, non, je retire ma face de graisse noircie.


un roi seul ictère une crypte
flingue aumône lynch faux dollar
je décrypte la nuit franche des inédits du sable
fornique lacère ma fugue et erre sur l'orgasme
des vins âpres d.un temps sans boussole où l'index
du bédouin pile toute monnaie et sans rancune
fourbit un astre à m^me ton ombre qui s'abîme
quand je porte ton cadavre au sommier horoscopique
des cailloux de l'enquête cousue avec mon rire


J'assiste au étripements : GENNEVILLIERS. D'un verre cannelé sort un diable biffe le nuage proxénétique ourdi par ma casse. Je vous causes des transes. Vous seriez vanne dans ma rupture.

dimanche 19 août 2012

Godard: Je Vous Salue, Sarajevo


"En un sens, voyez-vous, la peur est quand même la fille de Dieu. Rachetée la nuit du vendredi saint, elle n'est pas belle à voir non, tantôt raillée, tantôt maudite, renoncée par tous.

 Et cependant ne vous y tromper pas, elle est au chevet de chaque agonie. Elle intercède pour l'homme car il y a la règle et il y a l'exception. Il y a la culture qui est de la règle. Il y a l’exception qui est de l’art. Tous disent la règle : cigarette, ordinateur, t-shirt, télévision, tourisme guerre. Personne en dit l'exception. Cela ne se dit pas, cela s'écrit : Flaubert, Dostoïevski ; cela se compose : Gershwin, Mozart ; cela se peint : Cezanne Vermeer ; cela s'enregistre : Antonioni, Vigo ou cela se vit et c'est alors l'art de vivre : Sbrenica, Mostar, Sarajevo. Il est de la règle de vouloir la mort de l'exception. Il sera donc de la règle de l'Europe de la culture d'organiser la mort de l'art de vivre qui fleurit encore à nos pieds.

 Quand il faudra fermer le livre,
 ce sera sans regretter rien :
 j'ai vu tant de gens si mal vivre,
 et tant de gens, mourir si bien. "

samedi 4 août 2012

Mohamed prends ta valise de Kateb Yacine


Thomas Sankara à l'ONU

C'était le 4 octobre 1984 devant l'assemblée générale des nations unies.


Monsieur le Président,

Monsieur le secrétaire Général,

Honorables représentants de la Communauté internationale

Je viens en ces lieux vous apporter le salut fraternel d’un pays de 274000 km², où sept millions d’enfants, de femmes et d’hommes, refusent désormais de mourir d’ignorance, de faim, de soif, tout en n’arrivant pas à vivre véritablement depuis un quart de siècle d’existence comme Etat souverain, siégeant à l’ONU.
Je viens à cette Trente-neuvième session vous parler au nom d’un peuple qui, sur la terre de ses ancêtres, a choisi, dorénavant de s’affirmer et d’assumer son histoire, dans ses aspects positifs, comme dans ses aspects négatifs, sans complexe aucun.
Je viens enfin, mandaté par le Conseil National de la Révolution (CNR) du Burkina Faso, pour exprimer les vues de mon peuple concernant les problèmes inscrits à l’ordre du jour, et qui constituent la trame tragique des évènements qui fissurent douloureusement les fondements du monde en cette fin du vingtième siècle. Un monde où l’humanité est transformée en cirque, déchirée par les luttes entre les grands et les semi-grands, battue par les bandes armées, soumise aux violences et aux pillages. Un monde où des nations, se soustrayant à la juridiction internationale, commandent des groupes hors-la-loi, vivant de rapines, et organisant d’ignobles trafics, le fusil à la main.

Monsieur le Président

Je n’ai pas ici la prétention d’énoncer des dogmes. Je ne suis ni un messie ni un prophète. Je ne détiens aucune vérité. Ma seule ambition est une double aspiration : premièrement, pouvoir, en langage simple, celui de l’évidence et de la clarté, parler au nom de mon peuple, le peuple du Burkina Faso ; deuxièmement, parvenir à exprimer aussi, à ma manière, la parole du "Grand peuple des déshérités", ceux qui appartiennent à ce monde qu’on a malicieusement baptisé Tiers Monde. Et dire, même si je n’arrive pas à les faire comprendre, les raisons que nous avons de nous révolter.
Tout cela dénote de l’intérêt que nous portons à l’ONU, les exigences de nos droits y prenant une vigueur et la rigueur de la claire conscience de nos devoirs.
Nul ne s’étonnera de nous voir associer l’ex Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, à ce fourre-tout méprisé, le Tiers Monde, que les autres mondes ont inventé au moment des indépendances formelles pour mieux assurer notre aliénation culturelle, économique et politique. Nous voulons nous y insérer sans pour autant justifier cette gigantesque escroquerie de l’Histoire. Encore moins pour accepter d’être "l’arrière monde d’un Occident repu". Mais pour affirmer la conscience d’appartenir à un ensemble tricontinental et admettre, en tant que non-alignés, et avec la densité de nos convictions, qu’une solidarité spéciale unit ces trois continents d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique dans un même combat contre les mêmes trafiquants politiques, les mêmes exploiteurs économiques. Reconnaître donc notre présence au sein du Tiers Monde c’est, pour paraphraser José Marti, "affirmer que nous sentons sur notre joue tout coup donné à n’importe quel homme du monde". Nous avons jusqu’ici tendu l’autre joue. Les gifles ont redoublées. Mais le cœur du méchant ne s’est pas attendri. Ils ont piétiné la vérité du juste. Du Christ ils ont trahi la parole. Ils ont transformé sa croix en massue. Et après qu’ils se soient revêtus de sa tunique, ils ont lacéré nos corps et nos âmes. Ils ont obscurci son message. Ils l’ont occidentalisé cependant que nous le recevions comme libération universelle. Alors, nos yeux se sont ouverts à la lutte des classes. Il n’y aura plus de gifles.
Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture.
Du reste, tous les nouveaux "maîtres-à-penser" sortant de leur sommeil, réveillés par la montée vertigineuse de milliards d’hommes en haillons, effrayés par la menace que fait peser sur leur digestion cette multitude traquée par la faim, commencent à remodeler leurs discours et, dans une quête anxieuse, recherchent une fois de plus en nos lieu et place, des concepts-miracles, de nouvelles formes de développement pour nos pays. Il suffit pour s’en convaincre de lire les nombreux actes des innombrables colloques et séminaires.
Loin de moi l’idée de tourner en ridicule les efforts patients de ces intellectuels honnêtes qui, parce qu’ils ont des yeux pour voir, découvrent les terribles conséquences des ravages imposés par lesdits "spécialistes" en développement dans le Tiers Monde. La crainte qui m’habite c’est de voir les résultats de tant d’énergies confisquées par les Prospéro de tout genre pour en faire la baguette magique destinée à nous renvoyer à un monde d’esclavage maquillé au goût de notre temps.
Cette crainte se justifie d’autant plus que la petite bourgeoisie africaine diplômée, sinon celle du Tiers Monde, soit par paresse intellectuelle, soit plus simplement parce qu’ayant goûté au mode de vie occidental, n’est pas prête à renoncer à ses privilèges. De ce fait, elle oublie que toute vraie lutte politique postule un débat théorique rigoureux et elle refuse l’effort de réflexion qui nous attend. Consommatrice passive et lamentable, elle se regorge de vocables fétichisés par l’Occident comme elle le fait de son whisky et de son champagne, dans ses salons à l’harmonie douteuse. On recherchera en vain depuis les concepts de négritude ou d’"African Personality" marqués maintenant par les temps, des idées vraiment neuves issues des cerveaux de nos "grands" intellectuels. Le vocabulaire et les idées nous viennent d’ailleurs. Nos professeurs, nos ingénieurs et nos économistes se contentent d’y adjoindre des colorants parce que, des universités européennes dont ils sont les produits, ils n’ont ramené souvent que leurs diplômes et le velours des adjectifs ou des superlatifs.
Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui, le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. Il faut, avant qu’il ne soit trop tard, car il est déjà trop tard, que ces élites, ces hommes de l’Afrique, du Tiers Monde, reviennent à eux-mêmes, c’est-à-dire à leur société, à la misère dont nous avons hérité pour comprendre non seulement que la bataille pour une pensée au service des masses déshéritées n’est pas vaine, mais qu’ils peuvent devenir crédibles sur le plan international, qu’en inventant réellement, c’est-à-dire, en donnant de leurs peuples une image fidèle. Une image qui leur permette de réaliser des changements profonds de la situation sociale et politique, susceptibles de nous arracher à la domination et à l’exploitation étrangères qui livrent nos Etats à la seule perspective de la faillite.
C’est ce que nous avons perçu, nous, peuple burkinabè, au cours de cette nuit du 4 août 1983, aux premiers scintillements des étoiles dans le ciel de notre Patrie. Il nous fallait prendre la tête des jacqueries qui s’annonçaient dans les campagnes affolées par l’avancée du désert, épuisées par la faim et la soif et délaissées. Il nous fallait donner un sens aux révoltes grondantes des masses urbaines désoeuvrées, frustrées et fatiguées de voir circuler les limousines des élites aliénées qui se succédaient à la tête de l’Etat et qui ne leur offraient rien d’autre que les fausses solutions pensées et conçues par les cerveaux des autres. Il nous fallait donner une âme idéologique aux justes luttes de nos masses populaires mobilisées contre l’impérialisme monstrueux. A la révolte passagère, simple feu de paille, devait se substituer pour toujours la révolution, lutte éternelle contre la domination.
D’autres avant moi ont dit, d’autres après moi diront à quel point s’est élargi le fossé entre les peuples nantis et ceux qui n’aspirent qu’à manger à leur faim, boire à leur soif, survivre et conserver leur dignité. Mais nul n’imaginera à quel point " le grain du pauvre a nourri chez nous la vache du riche". Dans le cas de l’ex Haute Volta, le processus était encore plus exemplaire. Nous étions la condensation magique, le raccourci de toutes les calamités qui ont fondu sur les pays dits "en voie de développement". Le témoignage de l’aide présentée comme la panacée et souvent trompetée, sans rime ni raison, est ici éloquent. Très peu sont les pays qui ont été comme le mien inondés d’aides de toutes sortes. Cette aide est en principe censée œuvrer au développement. On cherchera en vain dans ce qui fut autrefois la Haute-Volta, les singes de ce qui peut relever d’un développement. Les hommes en place, soit par naïveté, soit par égoïsme de classe, n’ont pas pu on n’ont pas voulu maîtriser cet afflux extérieur, en saisir la portée et exprimer des exigences dans l’intérêt de notre peuple.
Analysant un tableau publié en 1983 par le Club du Sahel, Jacques Giri dans son ouvrage "Le Sahel Demain", conclut avec beaucoup de bon sens que l’aide au Sahel, à cause de son contenu et des mécanismes en place, n’est qu’une aide à la survie. Seuls, souligne-t-il, 30 pour cent de cette aide permet simplement au Sahel de vivre. Selon Jacques Giri, cette aide extérieure n’aurait d’autres buts que de continuer à développer les secteurs improductifs, imposant des charges intolérables à nos petits budgets, désorganisant nos campagnes, creusant les déficits de notre balance commerciale, accélérant notre endettement.
Juste quelques clichés pour présenter l’ex Haute-Volta :
- 7 millions d’habitants, avec plus de 6 millions de paysannes et de paysans
- Un taux de mortalité infantile estimé à 180 pour mille
- Une espérance de vie se limitant à 40 ans
- Un taux d’analphabétisme allant jusqu’à 98 pour cent, si nous concevons l’alphabétisé comme celui qui sait lire, écrire et parler une langue.
- Un médecin pour 50000 habitants
- Un taux de scolarisation de 16 pour cent
- et enfin un produit intérieur brut par tête d’habitant de 53356 francs CFA soit à peine plus de 100 dollars. Le diagnostic à l’évidence, était sombre. La source du mal était politique. Le traitement ne pouvait qu’être politique. Certes nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide. Mais en général, la politique d’assistance et d’aide n’a abouti qu’à nous désorganiser, à nous asservir, à nous déresponsabiliser dans notre espace économique, politique et culturel.
Nous avons choisi de risquer de nouvelles voies pour être plus heureux. Nous avons choisi de mettre en place de nouvelles techniques.
Nous avons choisi de rechercher des formes d’organisation mieux adaptées à notre civilisation, rejetant de manière abrupte et définitive toutes sortes de diktats extérieurs, pour créer ainsi les conditions d’une dignité à la hauteur de nos ambitions. Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. Tel est notre programme politique.
Au plan de la gestion économique, nous apprenons à vivre simplement, à accepter et à nous imposer l’austérité afin d’être à même de réaliser de grands desseins.
Déjà, grâce à l’exemple de la Caisse de solidarité nationale, alimentée par des contributions volontaires, nous commençons à répondre aux cruelles questions posées par la sécheresse. Nous avons soutenu et appliqué les principes d’Alma-Ata en élargissant le champ des soins de santé primaires. Nous avons fait nôtre, comme politique d’Etat, la stratégie du GOBI FFF, préconisée par l’UNICEF. Par l’intermédiaire de l’Office du Sahel des Nations Unies (OSNU), nous pensons que les Nations unies devraient permettre aux pays touchés par la sécheresse la mise sur pied d’un plan moyen et long termes afin de parvenir à l’autosuffisance alimentaire.
Pour préparer le vingt et unième siècle, nous avons, par la création d’une tranche spéciale de la Tombola, "Instruisons nos enfants", lancé une campagne immense pour l’éducation et la formation de nos enfants dans une école nouvelle. Nous avons lancé à travers l’action salvatrice des Comités de Défense de la Révolution un vaste programme de construction de logements sociaux, 500 en trois mois, de routes, de petites retenues d’eau etc… Notre ambition économique est d’œuvrer pour que le cerveau et les bras de chaque burkinabé puissent au moins lui servir à inventer et à créer de quoi s’assurer deux repas par jour et de l’eau potable.
Nous jurons, nous proclamons, que désormais au Burkina Faso, plus rien ne se fera sans la participation des burkinabés. Rien qui n’ait été au préalable décidé par nous, élaboré par nous. Il n’y aura plus d’attentat à notre pudeur et à notre dignité.
Forts de cette certitude, nous voudrions que notre parole s’élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair, tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité d’homme par un minorité d’hommes ou par un système qui les écrase. Permettez, vous qui m’écoutez, que je le dise : je ne parle pas seulement au nom du Burkina Faso tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part. Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire ou qu’ils sont de culture différente et bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal.
Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur. Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis.
Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. Pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabé. En retour, nous donnons en partage à tous les pays, l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil de l’État et de la vie sociale au Burkina Faso. Des femmes qui luttent et proclament avec nous, que l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu’elles montent à l’assaut pour la conquête de leurs droits.
Je parle au nom des mères de nos pays démunis, qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.
Je parle aussi au nom de l’enfant. L’enfant du pauvre, qui a faim et qui louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une vitre épaisse. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier, placé là par le père d’un autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir parce que représentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système. Je parle au nom des artistes (poètes, peintres, sculpteur, musiciens, acteurs), hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations de show-business.
Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge pour ne pas subir les dures lois du chômage.
Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage modernes.
Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’humanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes. C’est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions d’hommes qui vont mourir comme chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim. Militaire, je ne peux oublier ce soldat obéissant aux ordres, le doigt sur la détente, et qui sait que la balle qui va partir ne porte que le message de la mort.
Enfin, je veux m’indigner en pensant aux Palestiniens qu’une humanité inhumaine a choisi de substituer à un autre peuple, hier encore martyrisé. Je pense à ce vaillant peuple palestinien, c’est-à-dire à ces familles atomisées errant de par le monde en quête d’un asile. Courageux, déterminés, stoïques et infatigables, les Palestiniens rappellent à chaque conscience humaine la nécessité et l’obligation morale de respecter les droits d’un peuple : avec leurs frères juifs, ils sont anti-sionistes.
Aux côtés de mes frères soldats de l’Iran et de l’Irak, qui meurent dans une guerre fratricide et suicidaire, je veux également me sentir proche des camarades du Nicaragua dont les ports sont minés, les villes bombardées et qui, malgré tout, affrontent avec courage et lucidité leur destin. Je souffre avec tous ceux qui, en Amérique latine, souffrent de la mainmise impérialiste.
Je veux être aux côtés des peuples afghan et irlandais, aux côtés des peuples de Grenade et de Timor Oriental, chacun à la recherche d’un bonheur dicté par la dignité et les lois de sa culture.
Je m’élève ici au nom des tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils pourront faire entendre leur voix et la faire prendre en considération réellement. Sur cette tribune beaucoup m’ont précédé, d’autres viendront après moi. Mais seuls quelques uns feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde, ils peuvent se faire entendre. Oui je veux donc parler au nom de tous les "laissés pour compte" parce que "je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger".
Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’Humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du Tiers Monde. Nous sommes à l’écoute des grands bouleversements qui ont transformé le monde. Nous tirons des leçons de la révolution américaine, les leçons de sa victoire contre la domination coloniale et les conséquences de cette victoire. Nous faisons nôtre l’affirmation de la doctrine de la non-ingérence des Européens dans les affaires américaines et des Américains dans les affaires européennes. Ce que Monroe clamait en 1823, « L’Amérique aux Américains », nous le reprenons en disant « l’Afrique aux Africains », « Le Burkina aux Burkinabè ». La Révolution française de 1789, bouleversant les fondements de l’absolutisme, nous a enseigné les droits de l’homme alliés aux droits des peuples à la liberté. La grande révolution d’octobre 1917 a transformé le monde, permis la victoire du prolétariat, ébranlé les assises du capitalisme et rendu possible les rêves de justice de la Commune française. Ouverts à tous les vents de la volonté des peuples et de leurs révolutions, nous instruisant aussi de certains terribles échecs qui ont conduits à de tragiques manquements aux droits de l’homme, nous ne voulons conserver de chaque révolution, que le noyau de pureté qui nous interdit de nous inféoder aux réalités des autres, même si par la pensée, nous nous retrouvons dans une communauté d’intérêts.

Monsieur les Président,

Il n’y a plus de duperie possible. Le Nouvel Ordre Economique Mondial pour lequel nous luttons et continuerons à lutter, ne peut se réaliser que :
- si nous parvenons à ruiner l’ancien ordre qui nous ignore,
- si nous imposons la place qui nous revient dans l’organisation politique du monde,
- si, prenant conscience de notre importance dans le monde, nous obtenons un droit de regard et de décision sur les mécanismes qui régissent le commerce, l’économie et la monnaie à l’échelle planétaire. Le Nouvel Ordre Economique international s’inscrit tout simplement, à côté de tous les autres droits des peuples, droit à l’indépendance, au libre choix des formes et de structures de gouvernement, comme le droit au développement. Et comme tous les droits des peuples, il s’arrache dans la lutte et par la lutte des peuples. Il ne sera jamais le résultat d’un acte de la générosité d’une puissance quelconque.
Je conserve en moi la confiance inébranlable, confiance partagée avec l’immense communauté des pays non-alignés, que sous les coups de boutoir de la détresse hurlante de nos peuples, notre groupe va maintenir sa cohésion, renforcer son pouvoir de négociation collective, se trouver des alliés parmi les nations et commencer, de concert avec ceux qu peuvent encore nous entendrez, l’organisation d’un système de relations économiques internationales véritablement nouveau.

Monsieur le Président,

Si j’ai accepté de me présenter devant cette illustre assemblée pour y prendre la parole, c’est parce que malgré les critiques qui lui sont adressées par certains grands contributeurs, les Nations Unies demeurent la tribune idéale pour nos revendications, le lieu obligé de la légitimité des pays sans voix. C’est cela qu’exprime avec beaucoup de justesse notre Secrétaire général lorsqu’il écrit : "L’organisation des Nations Unies est unique en ce qu’elle reflète les aspirations et les frustrations de nombreux pays et gouvernements du monde entier. Un de ses grands mérites est que toutes les Nations, y compris celles qui sont faibles, opprimées ou victimes de l’injustice, (il s’agit de nous), peuvent, même lorsqu’elles sont confrontées aux dures réalités du pouvoir, y trouver une tribune et s’y faire entendre. Une cause juste, même si elle ne rencontre que revers ou indifférence, peut trouver un écho à l’Organisation des Nations Unies ; cet attribut de l’Organisation n’est pas toujours prisé, mais il n’en est pas moins essentiel". On ne peut mieux définir le sens et la portée de l’Organisation. Aussi est-il, pour chacun de nous, un impératif catégorique de consolider les assises de notre Organisation, de lui donner les moyens de son action. Nous adoptons en conséquence, les propositions faîtes à cette fin par le Secrétaire Général, pour sortir l’Organisation des nombreuses impasses, soigneusement entretenues par le jeu des grandes puissances afin de la discréditer aux yeux de l’opinion publique.

 Monsieur le Président,

Reconnaissant les mérites mêmes limités de notre Organisation, je ne peux que me réjouir de la voir compter de nouveaux adhérents. C’est pourquoi la délégation burkinabè salue l’entrée du 159ème membre de notre Organisation : l’Etat du Brunei Darussalam.
C’est la déraison de ceux entre les mains desquelles la direction du monde es tombée par le hasard des choses qui fait l’obligation au Mouvement des pays non alignés, auquel je l’espère, se joindra bientôt l’Etat du Brunei Darussalam, de considérer comme un des objectifs permanents de sa lutte, le combat pour le désarmement qui est un des aspects essentiels et une condition première de notre droit au développement.
Il faut, à notre avis des études sérieuses prenant en compte tous les éléments qui ont conduit aux calamités qui ont fondu sur le monde. A ce titre, le Président Fidel Castro en 1979, a admirablement exprimé notre point de vue à l’ouverture du sixième sommet des Pays non alignés lorsqu’il déclarait : "Avec 300 milliards de dollars, on pourrait construire en un an 600000 écoles pouvant recevoir 400 millions d’enfants ; ou 60 millions de logements confortables pour 300 millions de personnes ; ou 30000 hôpitaux équipés de 18 millions de lits ; ou 20000 usines pouvant employer plus de 20 millions de travailleurs ou irriguer 150 millions d’hectares de terre qui, avec les moyens techniques adéquats pourraient alimenter un milliard de personnes…"
En multipliant aujourd’hui ce chiffre par 10, je suis certainement en deçà de la réalité, on réalise ce que l’Humanité gaspille tous les ans dans le domaine militaire, c’est-à-dire contre la paix.
On perçoit aisément pourquoi l’indignation des peuples se transforme rapidement en révolte et en révolution devant les miettes qu’on leur jette sous la forme ignominieuse d’une certaine "aide", assortie de conditions parfois franchement abjectes. On comprend enfin pourquoi dans le combat pour le développement, nous nous désignons comme des militants inlassables de la paix.
Nous faisons le serment de lutter pour atténuer les tensions, introduire les principes d’une vie civilisée dans les relations internationales et les étendre à toutes les parties du monde. Ce qui revient à dire que nous ne pouvons assister passifs, au trafic des concepts.
Nous réitérons notre résolution d’être des agents actifs de la paix ; de tenir notre place dans le combat pour le désarmement ; d’agir enfin dans la politique internationale comme le facteur décisif, libéré de toute entrave vis-à-vis de toutes les grandes puissances, quels que soient les projets de ces dernières. Mais la recherche de la paix va de pair avec l’application ferme du droit des pays à l’indépendance, des peuples à la liberté et des nations à l’existence autonome. Sur ce point, le palmarès le plus pitoyable, le plus lamentable _ oui, le plus lamentable_ est détenu au Moyen Orient en termes d’arrogance, d’insolence et d’incroyable entêtement par un petit pays, Israël, qui, depuis, plus de vingt ans, avec l’inqualifiable complicité de son puissant protecteur les Etats-Unis, continue à défier la communauté internationale. Au mépris d’une histoire qui hier encore, désignait chaque Juif à l’horreur des fours crématoires, Israël en arrive à infliger à d’autres ce qui fut son propre calvaire. En tout état de cause, Israël dont nous aimons le peuple pour son courage et ses sacrifices d’hier, doit savoir que les conditions de sa propre quiétude ne résident pas dans sa puissance militaire financée de l’extérieur. Israël doit commencer à apprendre à devenir une nation comme les autres, parmi les autres. Pour l’heure, nous tenons à affirmer du haut de cette tribune, notre solidarité militante et agissante à l’endroit des combattants, femmes et hommes, de ce peuple merveilleux de la Palestine parce que nous savons qu’il n’y a pas de souffrance sans fin.

 Monsieur, le Président,

Analysant la situation qui prévaut en Afrique sur les plans économique et politique, nous ne pouvons pas ne pas souligner les graves préoccupations qui sont les nôtres, face aux dangereux défis lancés aux droits des peuples par certaines nations qui, sûres de leurs alliances, bafouent ouvertement la morale internationale.
Certes, nous avons le droit de nous réjouir de la décision de retrait des troupes étrangères au Tchad, afin que le Tchadiens entre eux, sans intermédiaire, cherchent les moyens de mettre fin à cette guerre fratricide, et donner enfin à ce peuple qui n’en finit pas de pleurer depuis de nombreux hivernages, les moyens de sécher ses larmes. Mais, malgré les progrès enregistrés çà et là par les peuples africains dans leur lutte pour l’émancipation économique, notre continent continue de refléter la réalité essentielle des contradictions entre les grandes puissances, de charrier les insupportables apories du monde contemporain.
C’est pourquoi nous tenons pour inadmissible et condamnons sans recours, le sort fait au peuple du Sahara Occidental par le Royaume du Maroc qui se livre à des méthodes dilatoires pour retarder l’échéance qui, de toute façon, lui sera imposée par la volonté du peuple sahraoui. Pour avoir visité personnellement les régions libérées par le peuple sahraoui, j’ai acquis la confirmation que plus rien désormais ne saurait entraver sa marche vers la libération totale de son pays, sous la conduite et éclairée du Front Polisario.

 Monsieur le Président,

Je ne voudrais pas trop m’étendre sur la question de Mayotte et des îles de l’Archipel malgache. Lorsque les choses sont claires, lorsque les principes sont évidents, point n’est besoin d’élaborer. Mayotte appartient aux Comores. Les îles de l’archipel sont malgaches.
En Amérique Latine, nous saluons l’initiative du Groupe de Contadora, qui constitue une étape positive dans la recherche d’une solution juste à la situation explosive qui y prévaut. Le commandant Daniel Ortega, au nom du peuple révolutionnaire du Nicaragua a fait ici des propositions concrètes et posé des questions de fond à qui de droit. Nous attendons de voir la paix s’installer dans son pays et en Amérique Centrale, le 15 octobre prochain et après le 15 octobre et nous prenons à témoin l’opinion publique mondiale.
De même que nous avons condamné l’agression étrangère de l’île de Grenade, de même nous fustigeons toutes les interventions étrangères. C’est ainsi que nous ne pouvons pas nous taire face à l’intervention militaire en Afghanistan. Il est cependant un point, mais dont la gravité exige de chacun de nous une explication franche et décisive. Cette question, vous vous en doutez, ne peut qu’être celle de l’Afrique du Sud. L’incroyable insolence de ce pays à l’égard de toutes les nations du monde, même vis-à-vis de celles qui soutiennent le terrorisme qu’il érige en système pour liquider physiquement la majorité noire de ce pays, le mépris qu’il adopte à l’égard de toutes nos résolutions, constituent l’une des préoccupations les plus oppressantes du monde contemporain.
Mais le plus tragique, n’est pas que l’Afrique du Sud se soit elle-même mise au banc de la communauté internationale à cause de l’abjection des lois de l’apartheid, encore moins qu’elle continue de maintenir illégalement la Namibie sous la botte colonialiste et raciste, ou de soumettre impunément ses voisins aux lois du banditisme. Non, le plus abject, le plus humiliant pour la conscience humaine, c’est qu’elle soit parvenue à "banaliser" le malheur de millions d’êtres humains qui n’ont pour se défendre que leur poitrine et l’héroïsme de leurs mains nues. Sûre de la complicité des grandes puissances et de l’engagement actif de certaines d’entre elles à ses côtés, ainsi que de la criminelle collaboration de quelques tristes dirigeants de pays africains, la minorité blanche ne se gêne pas pour ridiculiser les états d’âme de tous les peuples, qui, partout à travers le monde, trouvent intolérable la sauvagerie des méthodes en usage dans ce pays.
Il fut un temps où les brigades internationales se constituaient pour aller défendre l’honneur des nations agressées dans leur dignité. Aujourd’hui, malgré la purulence des plaies que nous portons tous à nos flancs, nous allons voter des résolutions dont les seules vertus, nous dira-t-on, seraient de conduire à résipiscence une Nation de corsaires qui "détruit le sourire comme le grêle due le fleurs". 

Monsieur le Président,

Nous allons bientôt fêter le cent cinquantième anniversaire de l’émancipation des esclaves de l’Empire britannique. Ma délégation souscrit à la proposition des pays d’Antigua et de la Barbade de commémorer avec éclat cet événement qui revêt, pour les pays africains et le monde noir, une signification d’une très grande importance. Pour nous, tout ce qui pourra être fait, dit ou organisé à travers le monde au cours des cérémonies commémoratives devra mettre l’accent sur le terrible écot payé par l’Afrique et le monde noir, au développement de la civilisation humaine. Ecot payé sans retour et qui explique, sans aucun doute, les raisons de la tragédie d’aujourd’hui sur notre continent. C’est notre sang qui a nourri l’essor du capitalisme, rendu possible notre dépendance présente et consolidé notre sous-développement. On ne peut plus escamoter la vérité, trafiquer les chiffres. Pour chaque Nègre parvenu dans les plantations, cinq au moins connurent la mort ou la mutilation. Et j’omets à dessein, la désorganisation du continent et les séquelles qui s’en sont suivies.

 Monsieur le Président,

Si la terre entière, grâce à vous, avec l’aide du Secrétaire Général, parvient à l’occasion de cet anniversaire à se convaincre de cette vérité-là, elle comprendra pourquoi, avec toute la tension de notre être, nous voulons la paix entre les nations, pourquoi nous exigeons et réclamons notre droit au développement dans l’égalité absolue, par une organisation et une répartition des ressources humaines. C’est parce que de toutes les races humaines, nous appartenons à celles qui ont le plus souffert, que nous nous sommes jurés, nous burkinabè, de ne plus jamais accepter sur la moindre parcelle de cette terre, le moindre déni de justice. C’est le souvenir de la souffrance qui nous place aux côtés de l’OLP contre les bandes armées d’Israël. C’est le souvenir de cette souffrance qui, d’une part, nous fait soutenir l’ANC et la SWAPO, et d’autre part, nous rend intolérable la présence en Afrique du Sud des hommes qui se disent blancs et qui brûlent le monde à ce titre. C’est enfin ce même souvenir qui nous fait placer l’Organisation des Nations Unies toute notre foi dans un devoir commun, dans un tâche commune pour un espoir commun. Nous réclamons :
- Que s’intensifie à travers le monde la campagne pour la libération de Nelson Mandela et sa présence effective à la prochaine Assemblée générale de l’ONU comme une victoire de fierté collective.
- Que soit créé en souvenir de nos souffrances et au titre de pardon collectif un Prix international de l’Humanité réconciliée, décerné à tous ceux qui par leur recherche auraient contribué à la défense des droits de l’homme.
- Que touts les budgets de recherches spatiales soient amputés de 1/10000e et consacrés à des recherches dans le domaine de la santé et visant à la reconstitution de l’environnement humain perturbé par tous ces feux d’artifices nuisibles à l’écosystème.
Nous proposons également que les structures des Nations Unies soient repensées et que soit mis fin à ce scandale que constitue le droit de veto. Bien sûr, les effets pervers de son usage abusif sont atténués par la vigilance de certains de ses détenteurs. Cependant, rien ne justifie ce droit : ni la taille des pays qui le détiennent ni les richesses de ces derniers. Si l’argument développé pour justifier une telle iniquité est le prix payé au cours de la guerre mondiale, que ces nations, qui se sont arrogé ces droits, sachent que nous aussi nous avons chacun un oncle ou un père qui, à l’instar de milliers d’autres innocents arrachés au Tiers Monde pour défendre les droits bafoués par les hordes hitlériennes, porte lui aussi dans sa chair les meurtrissures des balles nazies. Que cesse donc l’arrogance des grands qui ne perdent aucune occasion pour remettre en cause le droit des peuples. L’absence de l’Afrique du Club de ceux qui détiennent le droit de veto est une injustice qui doit cesser.
Enfin ma délégation n’aurait pas accompli tous ses devoirs si elle n’exigeait pas la suspension d’Israël et le dégagement pur et simple de l’Afrique du Sud de notre organisation. Lorsque, à la faveur du temps, ces pays auront opéré la mutation qui les introduira dans la Communauté internationale, chacun de nous nous, et mon pays en tête, devra les accueillir avec bonté, guider leur premier pas. Nous tenons à réaffirmer notre confiance en l’Organisation des Nations Unies. Nous lui sommes redevables du travail fourni par ses agences au Burkina Faso et de la présence de ces dernières à nos côtés dans les durs moments que nous t traversons.
Nous sommes reconnaissants aux membres du Conseil de Sécurité de nous avoir permis de présider deux fois cette année les travaux du Conseil. Souhaitons seulement voir le Conseil admettre et appliquer le principe de la lutte contre l’extermination de 30 millions d’êtres humains chaque année, par l’arme de la faim qui, de nos jours, fait plus de ravages que l’arme nucléaire.
Cette confiance et cette foi en l’Organisation me fait obligation de remercier le Secrétaire général, M. Xavier Pérez de Cuellar, de la visite tant appréciée qu’il nous a faite pour constater, sur le terrain, les dures réalités de notre existence et se donner une image fidèle de l’aridité du Sahel et la tragédie du désert conquérant.
Je ne saurai terminer sans rendre hommage aux éminentes qualités de notre Président (Paul Lusaka de Zambie) qui saura, avec la clairvoyance que nous lui connaissons, diriger les travaux de cette Trente-neuvième session.

 Monsieur le Président,

J’ai parcouru des milliers de kilomètres. Je suis venu pour demander à chacun de vous que nous puissions mettre ensemble nos efforts pour que cesse la morgue des gens qui n’ont pas raison, pour que s’efface le triste spectacle des enfants mourant de faim, pour que disparaisse l’ignorance, pour que triomphe la rébellion légitime des peuples, pour que se taise le bruit des armes et qu’enfin, avec une seule et même volonté, luttant pour la survie de l’Humanité, nous parvenions à chanter en chœur avec le grand poète Novalis : "Bientôt les astres reviendront visiter la terre d’où ils se sont éloignés pendant nos temps obscurs ; le soleil déposera son spectre sévère, redeviendra étoile parmi les étoiles, toutes les races du monde se rassembleront à nouveau, après une longue séparation, les vieilles familles orphelines se retrouveront et chaque jour verra de nouvelles retrouvailles, de nouveaux embrassement ; alors les habitants du temps jadis reviendront vers la terre, en chaque tombe se réveillera la cendre éteinte, partout brûleront à nouveau les flammes de la vie, le vieilles demeures seront rebâties, les temps anciens se renouvelleront et l’histoire sera le rêve d’un présent à l’étendue infinie".

 La Patrie ou la mort, nous vaincrons !

 Je vous remercie.

lundi 25 juin 2012

RDV avec ses idées, 14 ans après l'assassinat de Matoub

Vivre dans les pays des autres...
Parler et Ecrire la langue des autres...
Rêver les rêves des autres:
Une extreme gauche au pouvoir...
Une province Libre et Indépendante...
J'en ai marre.
Mourir loin à petit feu, autant l'être là-bas à petit feu.
C'est décidé, je rentre en Algérie pour y mourir pour mes idées.
C'est décidé, Je rentre en Algérie pour y mourir en train de fuir; Harraga en pleins milieu de la mer sous un soleil de plomb!


Un certain 25 juin est assassiné un certain Grand-Homme, un certain Lounes Matoub.

dimanche 17 juin 2012

Extrait de L'Ultima Intervista di Pasolini



Nous sommes tous en danger 

Cet entretien s’est déroulé samedi Ier novembre [1975], entre quatre et six heures de l’après-midi, quelques heures à peine avant l’assassinat de Pasolini. Je tiens à préciser que le titre de la rencontre qui apparaît sur cette page est de Pasolini, et non de moi. En effet, à l’issue de la conversation qui, comme souvent par le passé, nous a laissés avec des convictions et des points de vue différents, je lui ai demandé s’il souhaitait donner un titre à cet entretien.Il y a réfléchi un peu, a dit que cela n’avait pas d’importance, a changé de sujet, puis quelque chose nous a ramené à l’argument de fond qui surgit continuellement dans les réponses qui suivent. “Voilà le germe, le sens de tout, a-t-il dit.Toi,tu ne sais même pas qui est en train d’envisager de te tuer. Choisis ce titre,si tu veux: ‘Parce que nous sommes tous en danger’.”

  Pasolini, dans tes articles et tes écrits, tu as donné de nombreuses versions de ce que tu détestes. Tu as engagé un combat solitaire contre un si grand nombre de choses, d’institutions, de convictions, de personnes, de pouvoirs. Pour ne pas compliquer ce que je veux dire, je parlerai de “la situation”, et tu sais que j’entends par là la scène contre laquelle, de manière générale, tu te bats. Maintenant je te fais cette objection. La “situation”, qui comprend tous les maux dont tu parles, contient aussi tout ce qui te permet d’être Pasolini. À savoir : tout ton mérite et ton talent. Mais les instruments? Les instruments appartiennent à la “situation”. Édition, cinéma, organisation, jusqu’aux objets mêmes. Imaginons que tu possèdes un pouvoir magique. Tu fais un geste et tout disparaît. Tout ce que tu détestes. Et toi ? Est-ce que tu ne resterais pas seul et sans moyens? Je veux dire sans moyens d’expression… 
Oui, j’ai bien compris. Mais je ne me contente pas d’expérimenter ce pouvoir magique, j’y crois. Pas au sens médiumnique. Mais parce que je sais qu’en tapant toujours sur le même clou, on peut faire s’écrouler une maison. À petite échelle, les radicaux nous en donnent un bon exemple, quatre chats qui parviennent à déplacer la conscience d’un pays (et tu sais que je ne suis pas toujours d’accord avec eux, mais il se trouve que je suis sur le point de me rendre à leur congrès). À grande échelle, l’Histoire nous en offre un exemple. Le refus a toujours constitué un geste essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels. Le petit nombre d’hommes qui ont fait l’Histoire sont ceux qui ont dit non, jamais les courtisans et les valets des cardinaux. Pour être efficace, le refus doit être grand, et non petit, total, et non pas porter sur tel ou tel point, “absurde”, contraire au bon sens. Eichmann, mon cher, avait énormément de bon sens. Qu’est-ce qui lui a fait défaut? La capacité à dire non tout en haut, au sommet, dès le début, tandis qu’il accomplissait une tâche purement et ordinairement administrative, bureaucratique. Peut-être qu’il aura dit à ses amis que ce Himmler ne lui plaisait pas tant que ça.Il aura murmuré, comme on murmure dans les maisons d’édition, les journaux, chez les sous-dirigeants politiques et à la télévision. Ou bien il aura protesté parce que tel ou tel train s’arrêtait une fois par jour pour laisser les déportés faire leurs besoins et avaler un peu de pain et d’eau, alors qu’il aurait été plus fonctionnel ou économique de prévoir deux arrêts. Il n’a jamais enrayé la machine. Alors, trois questions se posent. Quelle est, comme tu dis, “la situation”, et pour quelle raison devrait-on l’arrêter ou la détruire ? Et de quelle manière ? 

  Nous y voilà, décris-nous la “situation”.Tu sais très bien que tes interventions et ton langage ont un peu l’effet du soleil qui traverse la poussière. L’image est belle mais elle ne permet pas de voir (ou de comprendre) grand-chose.
Merci pour l’image du soleil, mais mon ambition est bien moindre. Je voudrais que tu regardes autour de toi et que tu prennes conscience de la tragédie. En quoi consiste la tragédie ? La tragédie est qu’il n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les unes contre les autres. Et nous, les intellectuels, nous consultons l’horaire des trains de l’année passée, ou d’il y a dix ans, puis nous disons: comme c’est étrange, mais ces deux trains ne passent pas là, et comment se fait-il qu’ils se soient fracassés de cette manière ? Soit le conducteur est devenu fou, ou bien c’est un criminel isolé, ou bien il s’agit d’un complot. C’est surtout le complot qui nous fait délirer. Il nous libère de la lourde tâche consistant à nous confronter en solitaires avec la vérité. Quelle merveille si, pendant que nous sommes ici à discuter, quelqu’un, dans la cave, est en train d’échafauder un plan pour se débarrasser de nous. C’est facile, c’est simple, c’est la résistance. Nous perdrons certains compagnons puis nous nous organiserons pour nous débarrasser de nos ennemis à notre tour, ou bien nous les tuerons les uns après les autres, qu’en penses-tu? Je sais bien que lorsque Paris brûle-t-il ? passe à la télévision, ils sont tous là à verser des larmes, avec une envie folle que l’histoire se répète, une histoire bien belle, bien propre (l’un des avantages du temps est qu’il “lave” les choses, comme la façade des maisons). Comme c’est simple, quand moi je suis d’un côté, et toi de l’autre. Je ne suis pas en train de plaisanter avec le sang, la douleur, l’effort qu’à cette époque-là aussi les gens ont dû payer pour pouvoir “choisir”. Quand tu as la tête écrasée contre telle heure, telle minute de l’histoire, faire un choix est toujours tragique. Cependant, il faut bien l’admettre, les choses étaient plus simples à l’époque. L’homme normal, avec l’aide de son courage et de sa conscience, réussit à repousser le fasciste de Salò, le nazi membre des ss, y compris de la sphère de sa vie intérieure (où, toujours,la révolution commence). Mais aujourd’hui les choses ont changé. Quelqu’un vient vers toi, déguisé en ami, il est gentil, poli, et il “collabore” (à la télévision, disons) soit pour gagner sa vie, soit parce que ce n’est quand même pas un crime. L’autre – ou les autres, les groupes – viennent vers toi ou t’affrontent – avec leurs chantages idéologiques, avec leurs avertissements, leurs prêches, leurs anathèmes, et tu ressens qu’ils constituent aussi une menace. Ils défilent avec des banderoles et des slogans, mais qu’est-ce qui les sépare du “pouvoir” ? 

  En quoi consiste le pouvoir, selon toi, où se trouve-t-il, à quel endroit,comment le débusques-tu? 
Le pouvoir est un système d’éducation qui nous divise en dominés et dominants. Mais attention. Un système d’éducation identique pour tous, depuis ce qu’on appelle les classes dirigeantes jusqu’aux pauvres. Voilà pourquoi tout le monde désire les mêmes choses et se comporte de la même manière. Si j’ai entre les mains un conseil d’administration ou bien une manœuvre boursière, je l’utilise. Ou sinon je prends une barre de fer. Et quand j’utilise une barre de fer, j’ai recours à la violence pour obtenir ce que je veux. Pourquoi est-ce que je le veux? Parce qu’ils m’ont dit que c’est bien de le vouloir. J’exerce mon droit-vertu. Je suis à la fois un assassin et un homme de bien.

samedi 26 mai 2012

Le souffle le plus long...

Une page est en train d'être écrite au Québec... Admirons, puisqu'on ne connait que l'admiration... En attendant l'inspiration... . ETC.


Discours pour
l’augure d’un temps
nouveau 


Bonjour, je me présente, Fermaille Tremblay, première du nom, symbole de la révolution étudiante, charriant l’amour de l’éducation et des gens qui la font. Je vous le dis amis, festudiants, jeunesse de ce monde, femmes hommes et enfants, vieillards et nouveaux-nés, virulente présence camaradesque; amours éperdus venus d’hier, participant là-bas, déjà, au jour comme une histoire où la hausse s’étonna d’elle-même et foutit le camp, émue du nombre. Amis, festudiants, jeunesse immuable, frayeurs des chemins, nous-mêmes qui possédons le printemps à bout de bras sommes aujourd’hui forcés de constater que nous manifestons à bout d’âme depuis huit semaines et ne sommes rien d’autre que les assoiffés du jour que nous étions en naissant.

Ce système et sa loi du « qui le vendra l’aura », on en a soupé. Nous choisissons de ne pas attendre que le ciel s’indigne pour nous prouver qu’un changement majeur ne passe pas toujours par la catastrophe irréversible :
- Voyons, où nous en sommes, à débrider le sens de notre devenir.
- Voyons, dans la révolution, notre inassouvissable appétit d’un monde meilleur.
- Munis d’un NOUS, rassemblés, voyons ce que le rêve nous permet.

J’énumère ici ce qu’au terme de la grève, le Québec d’après la victoire est destiné à être:

      1. Le Kébek sera un Kébek Étudiant vibrant de toute sa jeunesse folle. On l’aura vu naître depuis un Printemps Érable enraciné dans l’indignation et la quête de justice sociale. Nous connaîtrons sa pleine liberté, celle qu’on attend depuis trois siècles, et ce sera notre très grande faute.
      2. Le Kébek Étudiant se révèlera source d’une inspiration internationale et féconde partout dans le monde; il transformera les propriétaires en coopérants, les voraces en visionnaires, les asservis en rêveurs. Les idées folles seront reçues au parlement comme les seules valables.
      3. Au Kébek Étudiant, l’infantilisation dont nous sommes les victimes aujourd’hui ne sera plus pensable. Les paternalistes de ce monde se regarderont une fois pour toutes dans le miroir et constateront leur condescendance. Dès lors, nous marcherons avec eux, côte à côte, à la hauteur d’un regard franc.
      4. Ce Printemps mènera au pays de Kébek Étudiant, libre et souverain. Les réverbérations de notre affirmation identitaire seront à l’origine d’une transformation généralisée en Occident.
      5. Au Kébek Étudiant, nous ne parlerons plus de 1837 et des patriotes comme d’une défaite, mais plutôt comme du premier pas de la Grande Histoire de la libération du Québec ; 1837-2012.
      6. Par le fait même, le Kébek Étudiant renforcera son statut de symbole de la résistance culturelle en Amérique. Les puissances mondiales seront seules laissées à leurs névroses capitalistes soliloquant dans une langue de fin des temps.
      7. Au Kébek Étudiant, nous nous forgerons une fierté démesurée; nos penseurs, nos professeurs et nos artistes seront notre bien gardé. Ils nous formeront à leur image avec une envie irrésistible de transmettre leur savoir et leur talent. L’octave du don collectif s’élèvera en chacun de nous. Les récalcitrants finiront par céder à l’attractivité d’un projet commun.
      8. La femme aura son monument, sa statue, plus haute que le pont Jacques-Cartier, et cette statue rayonnera de par le monde.
      9. Le Kébek Étudiant ne sera pas reconnu pour le gaz de schiste et son goût vicieux du profit, mais plutôt pour le grand schisme de notre asservissement au néo-libéralisme grégaire et à l’hégémonie économique. Nous ne parlerons plus du Bouclier canadien mais d’un maillage solidaire, spécialement québécois, qui protègera nos ressources humaines et naturelles.
      10. Nous aimerons notre prochain comme l’élan commun qui nous pousse vers un avenir meilleur, fiers d’être arrivés à faire ensemble un lieu neuf qui nous ressemble, nous rassemble et nous raconte.
      11. Nous ne conduirons plus de chars au gaz.

Nous portons en nous un feu de foyer et du bois de poêle pour lutter contre la grande noirceur des idées individualistes chauffées au charbon. Nous sommes un boisé touffu; une sève sucrée nous coule par le corps fier, le corps enraciné comme un chêne, cet arbre qui a vu Radisson, Donnacona, qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. C’t’histoire-là est pas arrivée à l’ami de l’ami d’un cousin, c’est not’ histoire tricotée serré avec de la laine d’outarde, histoire braquée sur le devenir ensemble, quelque chose comme le début d’une fin dans un pays qui a eu chaud longtemps, qui eu peur pour sa peau, mais qui cette fois reprend le large avec tout sauf une allure de porte-ordure.

Le Kébek Étudiant éclate de par son centre fleurissant de lysée dans l’avenir émancipé.

Nous VAINCRONS.

Nous bloquerons la hausse, vers la gratuité, et plus loin encore.

FERMAILLE TREMBLAY.
Lu sur: http://fr.calameo.com/read/0001079885639e1cba2f5

mardi 22 mai 2012

Soubresauts - Samuel Beckett


1
Assis une nuit à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir. Une nuit ou un jour. Car éteinte sa lumière à lui il ne restait pas pour autant dans le noir. Il lui venait alors de l’unique haute fenêtre un semblant de lumière. Sous celle-là encore le tabouret sur lequel jusqu’à ne plus le pouvoir ou le vouloir il montait voir le ciel. S’il ne se penchait pas au-dehors pour voir comment c’était en dessous c’était peut-être parce que la fenêtre n’était pas faite pour s’ouvrir ou qu’il ne pouvait ou ne voulait pas l’ouvrir. Peut-être qu’il ne savait que trop bien comment c’était en-dessous et ne désirait plus le voir. Si bien qu’il se tenait tout simplement là au-dessus de la terre lointaine à voir à travers la vitre ennuagée le ciel sans nuages. Faible lumière inchangeante sans exemple dans son souvenir des jours et des nuits d’antan où la nuit venait pile relever le jour et le jour la nuit. Seule lumière donc désormais éteinte la sienne à lui celle lui venant du dehors jusqu’à ce qu’elle à son tour s’éteigne le laissant dans le noir. Jusqu’à ce que lui à son tour s’éteigne.

Une nuit donc ou un jour assis à sa table la tête sur les mains il se vit se lever et partir. D’abord se lever sans plus accroché à la table. Puis se rasseoir. Puis se lever à nouveau accroché à la table à nouveau. Puis partir. Commencer à partir. Pieds invisibles commencer à partir. A pas si lents que seul en faisait foi le changement de place. Comme lorsqu’il disparaissait le temps d’apparaître plus tard à nouveau à une nouvelle place. Puis disparaissait à nouveau le temps d’apparaître plus tard à nouveau à une nouvelle place à nouveau. Ainsi allait disparaissant le temps d’apparaître plus tard à nouveau à une nouvelle place à nouveau. Nouvelle place à l’intérieur du lieu où assis à sa table la tête sur les mains. Même lieu et même table que lorsque Darly mourut et le quitta. Que lorsque d’autres à leur tour avant et après. Que lorsque lui enfin à son tour. La tête sur les mains mi-souhaitant mi-redoutant chaque fois qu’il disparaissait qu’il ne réapparaisse plus. Ou simplement se le demandant. Ou simplement attendant. Attendant voir si oui ou non. Si oui ou non à nouveau seul n’attendant rien à nouveau.

Vu toujours de dos où qu’il aille. Même chapeau et même manteau que du temps de l’errance. Dans l’arrière-pays. Maintenant tel quelqu’un dans un lieu inconnu à la recherche de la sortie. Dans les ténèbres. A l’aveuglette dans les ténèbres de jour ou de nuit d’un lieu inconnu à la recherche de la sortie. D’une sortie. Vers l’errance d’antan. Dans l’arrière-pays.

Une horloge lointaine sonnait l’heure et la demie. La même que du temps où parmi d’autres Darly mourut et le quitta. Coups tantôt nets comme portés par le vent tantôt à peine par temps calme. Des cris aussi tantôt nets tantôt à peine. La tête sur les mains mi-souhaitant mi-redoutant lorsque sonnait l’heure que plus jamais la demie. De même lorsque sonnait la demie. De même lorsque les cris cessaient un moment. Ou simplement se le demandant. Ou simplement attendant. Attendant entendre.
Il fut un temps où de temps en temps il soulevait la tête suffisamment pour voir les mains. Ce que d’elles il y avait à voir. L’une à plat sur la table et sur elle à plat l’autre. Au repos après tout ce qu’elles firent. Soulevait feue sa tête pour voir ses feues mains. Puis la reposait sur elles au repos elle aussi. Après tout ce qu’elle fit.

Même lieu que celui d’où chaque jour il s’en allait errer. Dans l’arrière-pays. Où chaque nuit il retournait faire les cent pas dans l’ombre encore passagère de la nuit. Maintenant comme inconnu à celui vu se lever et partir. Disparaître et apparaître à nouveau à une nouvelle place. Disparaître encore et apparaître encore à une nouvelle place encore. Ou à la même. Nul indice que pas la même. Nul mur repère. Nulle table repère. Dans le même lieu que lors des cent pas toute place telle une seule. Ou dans un autre. Nul indice que pas un autre. Où jamais. Se lever et partir dans le même lieu que toujours. Disparaître et reparaître dans un autre où jamais. Nul indice que pas un autre où jamais. Seuls les coups. Les cris. Les mêmes que toujours.

Puis tant de coups et de cris sans qu’il soit reparu qu’il ne reparaîtra peut-être plus. Puis tant de cris depuis les derniers coups qu’il n’y en aura peut-être plus. Puis un tel silence depuis les derniers cris que même d’eux il n’y en aura peut-être plus. Telle peut-être la fin. Ou peut-être rien qu’une accalmie. Puis tout comme avant. Les coups et cris comme avant et lui comme avant tantôt là à nouveau tantôt à nouveau parti. Puis l’accalmie à nouveau. Puis tout à nouveau comme avant. Ainsi de suite et de suite. Et patience en attendant la seule vraie fin des heures et de la peine et de soi et de l’autre à savoir la sienne.

2
Tel quelqu’un ayant toute sa tête à nouveau dehors enfin ne sachant comment il ne s’y était trouvé que depuis peu avant de se demander s’il avait toute sa tête. Car de quelqu’un n’ayant pas toute sa tête peut-on raisonnablement affirmer qu’il se le demande et qui plus est sous peine d’incohérence s’acharne sur ce casse-tête avec tout ce qu’il lui reste de raison ? Ce fut donc sous les espèces d’un être plus ou moins raisonnable qu’il émergea enfin ne sachant comment dans le monde extérieur et n’y avait pas vécu plus de six ou sept heures d’horloge avant de commencer à se demander s’il avait toute sa tête. Même horloge dont inlassablement lors de sa réclusion les coups sonnaient l’heure et la demie et donc d’abord en un sens de nature à le rassurer avant d’être finalement une source d’inquiétude en tant que pas plus nets à présent que lorsque amortis en principe par ses quatre murs. Puis il chercha du réconfort en songeant à qui le soir venu se hâte vers le couchant afin d’obtenir une meilleure vue de Vénus et n’y trouva aucun. Du seul autre son à animer sa solitude celui des cris pendant qu’en perte de souffrance il subsistait à sa table la tête sur les mains il en allait de même. De leur provenance celle des coups et des cris il en allait de même en tant que tout aussi irrepérable à l’air libre que normalement depuis l’intérieur. S’acharnant sur tout cela avec tout ce qu’il lui restait de raison il chercha du réconfort en songeant que son souvenir de l’intérieur laissait peut-être à désirer et n’y trouva aucun. S’ajoutait à son désarroi sa marche silencieuse comme lorsque nu-pieds il arpentait son plancher. Ainsi tout ouïe de pis en pis jusqu’à cesser sinon d’entendre d’écouter et se mettre à regarder autour de lui. Résultat finalement il était dans un pré ce qui avait au moins l’avantage d’expliquer sa marche silencieuse avant un peu plus tard comme pour s’en racheter d’accroître son trouble. Car il n’avait souvenance d’aucun pré du coeur même duquel nulle limite n’était visible mais d’où toujours en vue quelque part une fin quelconque telle une clôture ou autre manière de borne à ne pas dépasser. Circonstance aggravante en regardant de plus près l’herbe n’était pas celle dont il croyait se souvenir à savoir verdoyante et broutée de près par les divers herbivores mais longue et de couleur grisâtre voire blanche par endroits. Puis il chercha du réconfort en songeant que son souvenir du dehors laisssait peut-être à désirer et n’y trouva aucun. Ainsi tout yeux de pis en pis jusqu’à cesser sinon de voir de regarder autour de lui ou de plus près et se mettre à réfléchir. A cette fin faute d’une pierre sur laquelle s’asseoir à la manière de Walther et croiser les jambes il ne trouva pas mieux que de se figer debout sur place ce qu’au bout d’une brève hésitation il fit et bien entendu de pencher la tête à l’image de quelqu’un abîmé dans ses pensées ce qu’au bout d’une autre brève hésitation il fit aussi. Mais vite las de fouiller en vain dans ces ruines il reprit sa marche à travers les longues herbes blafardes résigné à ignorer où il était ou comment venu ou où il allait ou comment retourner là d’où il ignorait comment parti. Ainsi allait tout ignorant et nulle fin en vue. Tout ignorant et qui plus est sans aucun désir de savoir ni à vrai dire aucun d’aucune sorte et par conséquent sans regrets sinon qu’il aurait désiré que cessent pour de bon les coups et les cris et regrettait que non. Coups tantôt à peine tantôt nets comme portés par le vent mais pas un souffle et cris tantôt nets tantôt à peine.

3
Ainsi allait avant de se figer à nouveau lorsqu’à ses oreilles depuis ses tréfonds oh qu’il serait et ici un mot perdu que de finir là où jamais avant. Puis long silence long tout court ou si long que peut-être plus rien et puis à nouveau depuis ses tréfonds à peine un murmure oh qu’il serait et ici le mot perdu que de finir là où jamais avant. En tout cas quoi que ça pût être que de finir et ainsi de suite n’y était-il pas déjà là même où il se trouvait figé sur place et plié en deux et sans cesse à ses oreilles depuis ses tréfonds à peine un murmure oh qu’il serait quoi et ainsi de suite ne se trouvait-il pas à en croire ses yeux déjà là où jamais avant ? Car même un tel que lui s’étant trouvé une fois dans un lieu pareil comment n’aurait-il pas frémi en s’y retrouvant ce qu’il n’avait pas fait et ayant frémi cherché du réconfort en songeant soi-disant qu’ayant trouvé le moyen d’en sortir alors il pouvait le retrouver pour en sortir encore ce qu’il n’avait pas fait non plus ? Là donc tout ce temps où jamais avant et quelque part qu’il cherchât des yeux nul danger ou espoir selon le cas d’en jamais sortir. Fallait-il donc comme si de rien n’était pousser de l’avant tantôt dans une direction tantôt dans une autre ou au contraire ne plus bouger selon le cas c’est-à-dire selon ce mot perdu lequel s’il s’avérait négatif tel que malheureux ou malvenu par exemple alors évidemment malgré tout l’un et au cas contraire alors évidemment l’autre à savoir ne plus bouger. Tel à titre d’échantillon le vacarme dans son esprit soi-disant jusqu’à plus rien depuis ses tréfonds qu’à peine de loin en loin oh finir. N’importe comment n’importe où. Temps et peine et soi soi-disant. Oh tout finir.

jeudi 10 mai 2012

Piégé - Charles Bukowski


ne déshabillez pas mon amour
vous risqueriez de trouver un mannequin ;
ne déshabillez pas le mannequin
vous risqueriez de trouver mon amour

elle m'a oublié
depuis belle lurette.

elle est en train d'essayer un nouveau
chapeau
et paraît plus
coquette
que jamais.

c'est une
enfant
et un mannequin
et
la mort.

je ne peux pas haïr
une telle chose.

elle n'a rien
fait
d'inhabituel.

or je voulais
qu'elle le fasse.

vendredi 6 avril 2012

Portraits d'exil - Les mots fléchis


Au dernier jour de l'hiver, le café est bruyant de vie.

Elle pénètre seule, en s'immobilisant devant l'entrée; elle attend. Puis, il entre seul. Leurs regards ne se croisent pas. De la tête, Il fait signe vers une table, au coin là-bas, vide. Il avance. Elle le suit.

Il s'assoit. Elle s'assoit.
Pour fuir leur face-à-face, il et elle prennent deux journaux posés sur une table, à-coté.

Machinalement, il et elle s'arrêtent sur une page. Il et Elle lisent les titres puis, indifféremment, passent à une nouvelle page.
Il et elle ne comprennent rien à l'actualité, il et elle sont deux étrangers.

Au bruit des pages qui tournent, il se rend compte de l'absurdité de leur scène. Il ferme son journal, le remet à sa place, il préfère perdre son regard, au coin là-bas, vide.
Elle continue, elle s'arrête sur une page, elle lit les titres puis, indifféremment, passent à une nouvelle page.

Le sourire du serveur réfléchit péniblement sur Elle, comme si elle était toute seul, elle commande uniquement son café: un café s'il-vous-plait. Lui, impassible, comme s'il était tout seul, répète les même mots: un café s'il-vous-plait.
Elle continue à tourner les pages...

A la page des Mots fléchés, comme un repère de leur ancienne vie, elle retrouve son sourire, elle va à la rencontre du regard de Il, elle met le journal au milieu de la table...

Ils sont enfin ensemble en espace d'une grille...

mardi 31 janvier 2012

Le Livre de la Pauvreté et de la Mort (Rainer Maria Rilke)


Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes
solitaire comme une veine de métal pur;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.


Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
et cette grande nuit me fait peur;
mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante,
qu'elle m'écrase,
que toute ta main soit sur moi,
et que je me perde en toi dans un cri.


Toi, mont, seul immuable dans le chaos des montagnes,
pente sans refuge, sommet sans nom,
neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,
toi qui portes à tes flancs de grandes vallées
où l'âme de la terre s'exhale en odeurs de fleurs.


Me suis-je enfin perdu en toi,
uni au basalte comme un métal inconnu?
Plein de vénération, je me confonds à ta roche,
et partout je me heurte à ta dureté.


Ou bien est-ce l'angoisse qui m'étreint,
l'angoisse profonde des trop grandes villes,
où tu m'as enfoncé jusqu'au cou?


Ah, si seulement un homme pouvait dire
toute leur insanité et toute leur horreur,
aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,
et les chasserais devant toi comme de la poussière_


Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,
je ne le pourrai pas, car je ne comprends rien;
et ma bouche, comme une blessure,
ne demande qu'à se fermer,
et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens
qui restent sourds à tout appel.


Et pourtant, une fois, tu me feras parler.


Que je sois le veilleur de tous tes horizons
Permets à mon regard plus hardi et plus vaste
d'embrasser soudain l'étendue des mers.
Fais que je suive la marche des fleuves
afin qu'au delà des rumeurs de leurs rives
j'entende monter la voix silencieuse de la nuit.


Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents
où d'âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,
comme dans un linceul, des vies qui n'ont pas vécu


Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites;
la panique des incendies couve dans leur sein
et elles n'ont pas de pardon à attendre
et leur temps leur est compté.


Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond des nuits sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.


Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.


La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitants et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.


Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal;
ils rôdent, solitaires, autour des hôpitaux
en attendant leur admission avec angoisse.
La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas.


O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère.
Car nous ne sommes que l'écorce, que la feuille,
mais le fruit qui est au centre de tout
c'est la grande mort que chacun porte en soi.


C'est pour elle que les jeunes filles s'épanouissent,
et que les enfants rêvent d'être des hommes
et que les adolescents font des femmes leurs confidentes
d'une angoisse que personne d'autres n'accueille.
C'est pour elle que toutes les choses subsistent éternellement
même si le temps a effacé le souvenir,
et quiconque dans sa vie s'efforce de créer,
enclôt ce fruit d'un univers
qui tour à tour le gèle et le réchauffe.


Dans ce fruit peut entrer toute la chaleur
des coeurs et l'éclat blanc des pensées;
mais des anges sont venus comme une nuée d'oiseaux
et tous les fruits étaient encore verts.
Seigneur, nous sommes plus pauvres que les pauvres bêtes
qui, même aveugles, achèvent leur propre mort.


Oh, donne nous la force et la science
de lier notre vie en espalier
et le printemps autour d'elle commencera de bonne heure.

(Paris 1902)