" « L'histoire universelle est le jugement dernier. » Malgré sa résonance théologique, c'est l'idée la plus radicalement athée de Hegel : il n'y a pas de transcendance, pas de recours contre ce qui se passe ici, nous "sommes" définitivement ce que nous devenons, ce que nous serons devenus "
pp. 15.
L'art ludique de transmettre des idées philosophiques sérieuses chez Castoriadis.
Sujet et objet de la connaissance historique :
"... cela même, qui fonde la possibilité d'une connaissance historique... interdit que cette connaissance puisse jamais acquérir le statut d'un savoir achevé et transparent - puisqu'elle est elle-même, dans son essence, un phénomène historique qui demande à être saisi et interprété comme tel. Le discours sur l'histoire est inclus dans l'histoire.
Il ne faut pas confondre cette idée avec les affirmations du scepticisme ou du relativisme naïf : ce que chacun dit n'est jamais qu'une opinion, en parlant on se trahit soi-même plutôt qu'on ne traduit quelque chose de réel. Il y a bel et bien autre chose que la simple opinion (sans quoi ni discours, ni action, ni société ne seraient jamais possibles), on peut contrôler ou éliminer les préjugés, les préférences, les haines, appliquer les règles de l'« objectivité scientifique ». Il n'y a pas que des opinions qui se valent, et Marx par exemple est un grand économiste, même lorsqu'il se trompe, tandis que François Perroux n'est qu'un bavard, même lorsqu'il ne se trompe pas."
Il ne faut pas confondre cette idée avec les affirmations du scepticisme ou du relativisme naïf : ce que chacun dit n'est jamais qu'une opinion, en parlant on se trahit soi-même plutôt qu'on ne traduit quelque chose de réel. Il y a bel et bien autre chose que la simple opinion (sans quoi ni discours, ni action, ni société ne seraient jamais possibles), on peut contrôler ou éliminer les préjugés, les préférences, les haines, appliquer les règles de l'« objectivité scientifique ». Il n'y a pas que des opinions qui se valent, et Marx par exemple est un grand économiste, même lorsqu'il se trompe, tandis que François Perroux n'est qu'un bavard, même lorsqu'il ne se trompe pas."
pp. 49.
L'enchaînement des significations
et la « ruse de la raison »
"... Lorsque Hegel dit à peu près qu'Alexandre devait nécessairement mourir à trente-trois ans parce qu'il est de l'essence d'un héros de mourir jeune et qu'on n'imagine pas un Alexandre vieux, et lorsqu'il érige ainsi une fièvre accidentelle en manifestation de la Raison cachée dans l'histoire, on peut observer que précisément notre image de ce qu'est un héros a été forgée à partir du cas réel d'Alexandre et d'autres analogues, et qu'il n'y a donc rien de surprenant à ce que l'on retrouve dans l'évènement une forme qui s'est constituée pour nous en fonction de l'événement"
"... le sens historique (c'est-à-dire, un sens qui dépasse le sens effectivement vécu et porté par les individus) semble bel et bien pré-constitué dans le matériel que nous offre l'histoire. Pour rester dans l'exemple cité plus haut, le mythe d'Achille qui lui aussi meurt jeune (et de nombreux autres héros, qui ont le même sort) n'a pas été forgé en fonction de l'exemple d'Alexandre (ce serait plutôt le contraire). Le sens articulé : « Le héros meurt jeune » paraît avoir fasciné l'humanité depuis toujours, en dépit - ou à cause - de l'absurdité qu'il connote, et la réalité semble lui avoir fourni assez de support pour qu'il devienne « évident ». De même, le mythe de la naissance du héros, qui présente à travers des cultures et des époques très diverses des traits analogues (qui à la fois déforment et reproduisent des faits réels), et finalement tous les mythes témoignent de ce que faits et significations sont mêlés dans la réalité historique longtemps avant la conscience rationalisante de l'historien ou du philosophe n'intervienne."
"...
Il y a donc un problème essentiel : il y a des significations qui dépassent les significations immédiates et réellement vécues et elles sont portées par des processus de causation qui, en eux-même, n'ont pas de signification - ou pas cette signification là."
"... le sens historique (c'est-à-dire, un sens qui dépasse le sens effectivement vécu et porté par les individus) semble bel et bien pré-constitué dans le matériel que nous offre l'histoire. Pour rester dans l'exemple cité plus haut, le mythe d'Achille qui lui aussi meurt jeune (et de nombreux autres héros, qui ont le même sort) n'a pas été forgé en fonction de l'exemple d'Alexandre (ce serait plutôt le contraire). Le sens articulé : « Le héros meurt jeune » paraît avoir fasciné l'humanité depuis toujours, en dépit - ou à cause - de l'absurdité qu'il connote, et la réalité semble lui avoir fourni assez de support pour qu'il devienne « évident ». De même, le mythe de la naissance du héros, qui présente à travers des cultures et des époques très diverses des traits analogues (qui à la fois déforment et reproduisent des faits réels), et finalement tous les mythes témoignent de ce que faits et significations sont mêlés dans la réalité historique longtemps avant la conscience rationalisante de l'historien ou du philosophe n'intervienne."
"...
Il y a donc un problème essentiel : il y a des significations qui dépassent les significations immédiates et réellement vécues et elles sont portées par des processus de causation qui, en eux-même, n'ont pas de signification - ou pas cette signification là."
pp. 75 et 76.
"
Lorsqu'un astronome spiritualiste, comme Sir James Jeans, dit que Dieu est un mathématicien, et lorsque des matérialistes dialectiques affirment farouchement que la matière, la vie et l'histoire sont intégralement soumises à un déterminisme dont on trouvera un jour l'expression mathématique, il est triste de penser que sous certaines conditions historiques les partisans de chacune de ces écoles auraient pu fusiller ceux de l'autre (et l'ont effectivement fait). Car ils disent tous exactement la même chose, lui donnant simplement un nom différent.
Une dialectique « non spiritualiste » doit être tout aussi une dialectique « non matérialiste » au sens qu'elle refuse de poser un Être absolu, que ce soit comme esprit, comme matière ou comme la totalité déjà donnée en droit de toutes les déterminations possibles. Elle doit éliminer la clôture et l'achèvement, repousser le système complété du monde. Elle doit écarter l'illusion rationaliste, accepter sérieusement l'idée qu'il y a de l'infini et de l'indéfini, admettre, sans pour autant renoncer au travail, que tout détermination rationnelle laisse un résidu non déterminé et non rationnel, que le résidu est tout autant essentiel que ce qui a été analysé, que nécessité et contingence sont continuellement imbriquées l'une dans l'autre, que la « nature », hors de nous et en nous, est toujours autre chose et plus que ce que la conscience en construit, - et que tout cela ne vaut pas seulement pour l'« objet », mais aussi pour le sujet, et non seulement pour le sujet « empirique » mais aussi pour le sujet « transcendantal » puisque toute législation transcendantale de la conscience existe dans un monde (ordre et désordre, saisissable et inépuisable) - fait que la conscience ne peut pas produire elle-même, ni réellement ni symboliquement.
"
pp. 81 et 82.
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