vendredi 25 mars 2011

Escales [Mouloud Mammeri]: Extrait

Une excellente nouvelle de Mouloud Mammeri. Par elle, je redécouvre merveilleusement cet écrivain. La nouvelle fait partie d'un recueil de nouvelles portant le même titre "Escales", publié chez "La découverte". L'histoire se passe à Paris après l'indépendance de l'Algérie. Ci-dessous, je vous ai mis un extrait où le personnage principal, le Barbu (un ancien résistant français) s'adresse au narrateur (un Algérien). Ce dernier se contente d'écouter...

Sur le boulevard, le Barbu continua de défendre la paix avec passion:

  • Vos comprenez, monsieur, moi je sais de quoi je parle. La guerre (il ricana de nouveau: la deuxième der des ders), je l'ai faite jusqu'au bout. Ce n'est pas de ma faute si j'en suis revenu... Bien sûr qu'il y a des guerres justes, mais qui définit la justesse de la guerre, sa justice... qui?
Il laissa passer plusieurs autobus.
  • Au lendemain de la guerre, j'ai fait comme tout le monde... Le café de Flore, vous connaissez?... Quand on est un intello, forcément, on croit au pouvoir des idées... J'étais comme tout le monde... Et comme tout le monde, vous savez ce que c'est?
Je ne savais pas
  • Comme tout le monde, ça veut dire schizo en deux temps. La nuit, tous feux allumés, on refaisait le monde, la vie, les régimes, l'amour, la mort, les idéologies... enfin tout... on faisait concurrence à Dieu... si vous y croyez...
Il marqua une pause, pour savoir si j'y croyais... en vain!
  • Et puis, au matin blafard... on se réveille et... la procession des enchaînés de l'existence reprenait: le beefsteak, le fric, le job, le métro. Il n'y avait pas encore de drogue... Enfin pas trop... A l'aube floue, il ne restait plus des feux de la nuit qu'une flamme sans objet : la cendre étouffait la cendre... Les moins blasés (il y en avait)... pour se faire illusion... jouaient à arracher des pavés, riser des vitres, cogner sur les flics et être cognés par eux... Cela dure combien? (il souffla sur ses doigts.) Le temps d'une brise qui passe... Non! On réfléchit sur les hommes, pour eux, et, au matin, quand on se réveille, on cherche et... où sont les hommes? Évanouis! Morts... Évaporés!
  • Il n y a que des mécaniques bien rondes, huilées, astiquées, rodées, vidées de sang, de désirs et de rêves. Excusez-moi, monsieur, mais vous m'avez l'air d'être algérien...

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