vendredi 19 août 2011

Voyage du Condottière [André Suarès]

Je ne peux continuer ma lecture actuelle sans partager cet extrait du chef-d'oeuvre d'André Suarès qu'il avait écrit en 34 années. Je vous invite à le lire.


Le voyageur est encore ce qui importe le plus dans un voyage. Quoi qu'on en pense, tant vaut l'homme, tant vaut l'objet. Car enfin qu'est-ce que l'objet sans l'homme? Voir n'est point commun. La vision est la conquête de la vie. On voit toujours, plus au moins, comme on est. Le monde est plein d'aveugles aux yeux ouverts sur une taie; en tout spectacle, c'est leur cornée qu'ils contemplent, et leur taie grise qu'ils saisissent.

Les idées ne sont rien, si l'on ny trouve une peinture des sentiments, et les médailles que toutes les sensations ont frappées dans un homme.

Comme tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une oeuvre d'art : une création. De la plus humble à la plus haute, la création porte témoignage d'un créateur. Les pays ne sont que ce qu'il est. Il n'est de véritable connaissance que dans une oeuvre d'art. Toute l'histoire est sujette au doute. La vérité des historiens est une erreur infaillible. Qui voyage pour prouver des idées, ne fait point d'autre preuve que d'être sans vie, et sans vertu à la susciter.

Un homme voyage pour sentir et pour vivre. A mesure qu'il voit du pays c'est lui-même qui vaut la peine d'être vu. il se fait chaque jour plus riche de tout ce qu'il découvre. voilà pourquoi le voyage est si beau quand on l'a derrière soi : il n'est plus et l'on demeure! C'est le moment où il se dépouille. Le souvenir le décante de toute médiocrité. Et le voyageur, penché sur sa toisond'or, oublie toutes les ruses de la route, tous les ennuis et peut-être même qu'il a épousé Médée.

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