Un film de Pierre Perrault de 1967.
Ce film, comme un(e) vieillard(e), un(e) ancien(ne) comme on les appelle, m'a parlé comme suit:
"Voyez-vous, le mot "Vie" devait être inventer par un vieux, comme moi, qui se préparait à quitter cette chose qui, tous les jours, il la voyait autour de lui et la sentait en lui. Imaginez-le jeune au printemps, que pouvait-il faire à part participer à cet bel hymne, sans nom... et peut-être, à la canicule de l'été, nommer le feu Printemps ?!
Là, donc, dans son lit de mort, en train de rendre l'âme, comme on dit, il revoyait cette chose le quitter en disant, se disant peut-être: « La Vie, la mienne... hahaha, quelle blague! » ou, si le mec la prenait au sérieus, tsé?! « ... comme elle était belle ou laide... » mais ça, enfin bon, on s'en fout, ce n'est pas not' sujet!
Ceci donc est pour te dire cher jeune vivant, comme le jeune poète de Rilke n'est ce pas?! que les-Mots est un artifice à nous aut', les humains, pour représenter quelque chose en train de partir... Comme le mot Québec est, dans tout ce film et partout à l'époque, présent comme un silence. Le Québec indicible d'alors était bien vivant et n'avait pas besoin d'un René Levesque pour être quelque chose comme un grand peuple.
Maintenant qu'on a sauvé le mot, la chose est en train de partir... Le silence est brisé, l'indicible est rendu Québec mais le fleuve s'est vidé de ses pêcheurs et la terre est inondée de Walmart.
Ca n'a pas de bon sens, pantoute!"
"... c'est bien là qu'une île aux Coudres, dans les années cinquante, encore sans électricité, ne demandait pas mieux que de se confier corps et âme, pieds et poings liés, à la curiosité des mémoires de passage. Et c'est bien là et nulle part ailleurs que j'ai pris feu et lieu parmi les gens de l'île persuadés d'être des insulaires. Quel lieu choisi pour naître ! C'était dans les années cinquante et je ne savais encore que peu de chose sur moi-même et sur un fleuve passé sous silence par les humanités. Je connaissais mieux la fondation de Rome et on m'avait transmis le sentiment d'en être légataire. Je descendais d'une louve. Mais j'ignorais tout ou presque d'un fleuve de père en fils. Et le peu que j'en avais appris à tout hasard me paraissait indigne du poème. J'habitais la banalité. Et les écritures me détournaient d'un fleuve et de ses évidences.
Voilà pourquoi j'ai été bouleversé par leur appartenance. J'appartenais à une littérature. Ils appartenaient à une île. Nous autres icitte à l'île, on est des insulaires, disaient-ils. Que faire de Jupiter, de Mars, d'Homère, de Tit-Live dans une île ? Quelqu'un quelque part pense le monde grâce à ces bornes. Depuis bientôt toujours. Depuis que la culture fait mijoter son bouillon d'écriture et fabrique du sens à même les anciens mythes. Tandis qu'une île dans la mer, à cheval de lune et de marées, en produit à même sa propre réalité. A même un fleuve trop grand pour nos petites humanités classiques. Les dieux, les légendes n'étaient pas de taille. Cependant un fleuve échappait de toute sa singularité aux prétentions impériales. Et ils ne demandaient pas mieux que de me parler. De se dire. Petit à petit je me suis laissé instruire. A toutes les portes, j'ai rencontré un Homère qui ne fabulait pas. Et j'ai compris que ce grand inconnu des écritures m'était natal et ancestral. et je suis devenu, insensiblement, progressivement, à mon tour, un insulaire..." Extrait du livre "Nous autres icitte à l'île" de Pierre Perrault; pp. 36.
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