lundi 9 mai 2011

A âami Saâid

Je viens de trouver ce petit texte dans mon ordinateur. C'est un hommage à Said Mekbel, assassiné parce qu'il était journaliste.

Ci-dessous, vous trouverez une chanson de Zimu interprétant son adaptation en kabyle de la dernière chronique du Journaliste: "Ce voleur qui...".


Il est dans son coin-bureau: une simple table à manger travestie. Sur celle-ci une boite de sardine à tomate vide voisine d'un manuscrit. Un petit morceau de pain et une assiette sur une pile de journaux; à la tête de cette dernière le quotidien El Watan, celui du 19 Octobre de l'année précédente ouvert à la page 6... Vers sa table-à-manger-bureau, il ne se tourne que pour prendre son café-bien-serré; indispensable... Il est assis sur sa chaise, en face de son balcon; les jambes croisées; le regard, derrière ses habituelles lunettes de myope, perdu loin, très loin...

«La solitude intellectuelle»

titrait El Watan.

Une cigarette, Afras, entre ses deux doigts. De temps à autres, il les ramène à sa bouche, inspire profondément, la cigarette brule, elle éclaire son visage, sa silhouette se dessine sur la porte-fenêtre puis s'évanouit quand il expire... Il est dans le noir!

«La liste noire»

titrait El Watan.

Le ciel diaphane, on dirait triste si ce n'était le mois de décembre. La pluie en fond sonore, le silence pèse. Il est brisé par la sirène. Le noir, non plus, n'est pas épargné; la lumière du gyrophare inonde la chambre quand l'ambulance arrive... Il faut attendre encore 3 mois, pour lire le roman Pulpe où Bukowski écrit:

«Puis, j'entendis la sirène. Le jour où vous ne l'entendez plus, c'est que votre tour est arrivé»

Âami Said répond par un long soupire! L'ambulance court après la faucheuse… pour ne trouver que ses traces. La Grande-Faucheuse est partout. La Grand-Faucheuse est dans l'horloge. Tic-Tac, Tic-Tac est son pouls. La Grand-Faucheuse est en lui; le silence entre deux battements de cœur est son souffle. La Grand-Faucheuse est en Eux. Et puis les questions. Ou: La question, la seule: Pourquoi?

«Pourquoi?

Pourquoi nous?

Pourquoi Tahar, pourquoi Flici?

Pourquoi Lyabès, pourquoi Boucebci?»

«Partir» ne lui a jamais traversé l'esprit, mais il se demande s'il valait le coup de risquer sa vie? Valait-il le coup de se battre quand tout le monde est contre soi. Il a reçu une lettre, le matin. Il ne l'a pas ouverte. A quoi bon?! Si elle n'est pas une menace de mort, elle sera une convocation au palais de justice. Il est – ainsi que ses semblables-, comme un Mesmar, entre le marteau et l'enclume.

Mais Âami Saâid se ressaisit. Il se réveille comme dans un cauchemar. La peur se transforme en révolte, sa vie lui appartient, il ne laissera personne la lui retirer, il se tourne vers son table-à-manger-bureau, puisque il ne sait rien faire de ses mains, rien d'autre que ses petits écrits, il prend un papier, il griffonne là dessus; avant d'écrire son dernier billet, il note son titre:

«Ce voleur qui...»