lundi 25 juin 2012

RDV avec ses idées, 14 ans après l'assassinat de Matoub

Vivre dans les pays des autres...
Parler et Ecrire la langue des autres...
Rêver les rêves des autres:
Une extreme gauche au pouvoir...
Une province Libre et Indépendante...
J'en ai marre.
Mourir loin à petit feu, autant l'être là-bas à petit feu.
C'est décidé, je rentre en Algérie pour y mourir pour mes idées.
C'est décidé, Je rentre en Algérie pour y mourir en train de fuir; Harraga en pleins milieu de la mer sous un soleil de plomb!


Un certain 25 juin est assassiné un certain Grand-Homme, un certain Lounes Matoub.

dimanche 17 juin 2012

Extrait de L'Ultima Intervista di Pasolini



Nous sommes tous en danger 

Cet entretien s’est déroulé samedi Ier novembre [1975], entre quatre et six heures de l’après-midi, quelques heures à peine avant l’assassinat de Pasolini. Je tiens à préciser que le titre de la rencontre qui apparaît sur cette page est de Pasolini, et non de moi. En effet, à l’issue de la conversation qui, comme souvent par le passé, nous a laissés avec des convictions et des points de vue différents, je lui ai demandé s’il souhaitait donner un titre à cet entretien.Il y a réfléchi un peu, a dit que cela n’avait pas d’importance, a changé de sujet, puis quelque chose nous a ramené à l’argument de fond qui surgit continuellement dans les réponses qui suivent. “Voilà le germe, le sens de tout, a-t-il dit.Toi,tu ne sais même pas qui est en train d’envisager de te tuer. Choisis ce titre,si tu veux: ‘Parce que nous sommes tous en danger’.”

  Pasolini, dans tes articles et tes écrits, tu as donné de nombreuses versions de ce que tu détestes. Tu as engagé un combat solitaire contre un si grand nombre de choses, d’institutions, de convictions, de personnes, de pouvoirs. Pour ne pas compliquer ce que je veux dire, je parlerai de “la situation”, et tu sais que j’entends par là la scène contre laquelle, de manière générale, tu te bats. Maintenant je te fais cette objection. La “situation”, qui comprend tous les maux dont tu parles, contient aussi tout ce qui te permet d’être Pasolini. À savoir : tout ton mérite et ton talent. Mais les instruments? Les instruments appartiennent à la “situation”. Édition, cinéma, organisation, jusqu’aux objets mêmes. Imaginons que tu possèdes un pouvoir magique. Tu fais un geste et tout disparaît. Tout ce que tu détestes. Et toi ? Est-ce que tu ne resterais pas seul et sans moyens? Je veux dire sans moyens d’expression… 
Oui, j’ai bien compris. Mais je ne me contente pas d’expérimenter ce pouvoir magique, j’y crois. Pas au sens médiumnique. Mais parce que je sais qu’en tapant toujours sur le même clou, on peut faire s’écrouler une maison. À petite échelle, les radicaux nous en donnent un bon exemple, quatre chats qui parviennent à déplacer la conscience d’un pays (et tu sais que je ne suis pas toujours d’accord avec eux, mais il se trouve que je suis sur le point de me rendre à leur congrès). À grande échelle, l’Histoire nous en offre un exemple. Le refus a toujours constitué un geste essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels. Le petit nombre d’hommes qui ont fait l’Histoire sont ceux qui ont dit non, jamais les courtisans et les valets des cardinaux. Pour être efficace, le refus doit être grand, et non petit, total, et non pas porter sur tel ou tel point, “absurde”, contraire au bon sens. Eichmann, mon cher, avait énormément de bon sens. Qu’est-ce qui lui a fait défaut? La capacité à dire non tout en haut, au sommet, dès le début, tandis qu’il accomplissait une tâche purement et ordinairement administrative, bureaucratique. Peut-être qu’il aura dit à ses amis que ce Himmler ne lui plaisait pas tant que ça.Il aura murmuré, comme on murmure dans les maisons d’édition, les journaux, chez les sous-dirigeants politiques et à la télévision. Ou bien il aura protesté parce que tel ou tel train s’arrêtait une fois par jour pour laisser les déportés faire leurs besoins et avaler un peu de pain et d’eau, alors qu’il aurait été plus fonctionnel ou économique de prévoir deux arrêts. Il n’a jamais enrayé la machine. Alors, trois questions se posent. Quelle est, comme tu dis, “la situation”, et pour quelle raison devrait-on l’arrêter ou la détruire ? Et de quelle manière ? 

  Nous y voilà, décris-nous la “situation”.Tu sais très bien que tes interventions et ton langage ont un peu l’effet du soleil qui traverse la poussière. L’image est belle mais elle ne permet pas de voir (ou de comprendre) grand-chose.
Merci pour l’image du soleil, mais mon ambition est bien moindre. Je voudrais que tu regardes autour de toi et que tu prennes conscience de la tragédie. En quoi consiste la tragédie ? La tragédie est qu’il n’y a plus d’êtres humains, mais d’étranges machines qui se cognent les unes contre les autres. Et nous, les intellectuels, nous consultons l’horaire des trains de l’année passée, ou d’il y a dix ans, puis nous disons: comme c’est étrange, mais ces deux trains ne passent pas là, et comment se fait-il qu’ils se soient fracassés de cette manière ? Soit le conducteur est devenu fou, ou bien c’est un criminel isolé, ou bien il s’agit d’un complot. C’est surtout le complot qui nous fait délirer. Il nous libère de la lourde tâche consistant à nous confronter en solitaires avec la vérité. Quelle merveille si, pendant que nous sommes ici à discuter, quelqu’un, dans la cave, est en train d’échafauder un plan pour se débarrasser de nous. C’est facile, c’est simple, c’est la résistance. Nous perdrons certains compagnons puis nous nous organiserons pour nous débarrasser de nos ennemis à notre tour, ou bien nous les tuerons les uns après les autres, qu’en penses-tu? Je sais bien que lorsque Paris brûle-t-il ? passe à la télévision, ils sont tous là à verser des larmes, avec une envie folle que l’histoire se répète, une histoire bien belle, bien propre (l’un des avantages du temps est qu’il “lave” les choses, comme la façade des maisons). Comme c’est simple, quand moi je suis d’un côté, et toi de l’autre. Je ne suis pas en train de plaisanter avec le sang, la douleur, l’effort qu’à cette époque-là aussi les gens ont dû payer pour pouvoir “choisir”. Quand tu as la tête écrasée contre telle heure, telle minute de l’histoire, faire un choix est toujours tragique. Cependant, il faut bien l’admettre, les choses étaient plus simples à l’époque. L’homme normal, avec l’aide de son courage et de sa conscience, réussit à repousser le fasciste de Salò, le nazi membre des ss, y compris de la sphère de sa vie intérieure (où, toujours,la révolution commence). Mais aujourd’hui les choses ont changé. Quelqu’un vient vers toi, déguisé en ami, il est gentil, poli, et il “collabore” (à la télévision, disons) soit pour gagner sa vie, soit parce que ce n’est quand même pas un crime. L’autre – ou les autres, les groupes – viennent vers toi ou t’affrontent – avec leurs chantages idéologiques, avec leurs avertissements, leurs prêches, leurs anathèmes, et tu ressens qu’ils constituent aussi une menace. Ils défilent avec des banderoles et des slogans, mais qu’est-ce qui les sépare du “pouvoir” ? 

  En quoi consiste le pouvoir, selon toi, où se trouve-t-il, à quel endroit,comment le débusques-tu? 
Le pouvoir est un système d’éducation qui nous divise en dominés et dominants. Mais attention. Un système d’éducation identique pour tous, depuis ce qu’on appelle les classes dirigeantes jusqu’aux pauvres. Voilà pourquoi tout le monde désire les mêmes choses et se comporte de la même manière. Si j’ai entre les mains un conseil d’administration ou bien une manœuvre boursière, je l’utilise. Ou sinon je prends une barre de fer. Et quand j’utilise une barre de fer, j’ai recours à la violence pour obtenir ce que je veux. Pourquoi est-ce que je le veux? Parce qu’ils m’ont dit que c’est bien de le vouloir. J’exerce mon droit-vertu. Je suis à la fois un assassin et un homme de bien.