samedi 23 août 2014

Eyyaw an-Nejmaâet… Iyyaw Aahh - Allons, Allons… rentrons

Le restau-bar était déjà plein mais aucun Ami n’est encore là! À l’accoutumée, j’arrive donc le premier; notre table est réservée, non pas par le proprio, mais par les habitués. Ici, chaque table porte un nom d’un habitué; la notre s’appelle la table des Z’Amis mais elle est plus connue par la table de pti-Joe.
Pour attendre, je  demande d’abord des nouvelles de la mère du proprio, Âldja, qu’on ne voit plus; après, je commande ma première bière, je sors mon calepin et au bout d’un quart d’heure,  pour ouvrir l’appétit, je commande trois cailles bien cuites, de celles de Dda-Mouqrane puisque lui, il tend ses pièges à Tanesssawt, dans nos champs d’oliviers; surtout que cette année, la saison est bonne, l’huile est abondante, la caille est repue et sa chaire est tendre… Awid-Ou-Kane, on dit ici pour dire Tant mieux!
-       Donc, A-Azzedine agma, va pour trois cailles pour commencer, stp!
Azzedine, me fait :
-       C’est donc, comme d’hab’, A-Khayi?!
-       Oui… Et toi, tu as déjeuné ou pas encore?
-       Awa, c’est bon! Tu ne pourras jamais devancer l’invitation de Bouâlem, a-Khayi-Nnagh!
et Bouâlem renchérit, de l'autre salle:
-    Le jour où il me devancera, c'est que je ne suis plus des vôtres...

Ici, un commerce est comme une demeure…  Tu es accueilli par le proprio comme si c’était chez lui. Tu réussis un commerce quand tu respectes certaines règles, non écrites, d’hospitalité! Le bar, où j’écris ces lignes, est connu par le nom, écrit nul part, « Chez Rachid »! Son nom officiel, celui inscrit dans le registre de commerce, est, comme tout le monde dans ce pays, tout autre : « à l’Avenir du Souvenir ». C’est Azzedine qui a donné ce nom.
Azzedine est un oiseau. Il a lu tous les sud-américains. Le nom officiel de ce bar est d’ailleurs, le nom d’un bar amérindien d’un célèbre roman du cubain, Alejo Carpentier. Bouâlem, lui dit souvent, quand il l’invite à déjeuner avec lui, tu as recouvré ton chant depuis que tu es revenu, depuis que tu as retrouvé ton champ! Je l’ai connu à l’Époque.
Si tu regardes sa définition dans l’Amawal, le dictionnaire kabyle, tu verras que l’Époque est un empreint du Français défini pour la période correspondant précisément, dans l’Histoire houleuse de ce pays, à l’époque de notre exode.
J’ai connu donc Azzedine à cette époque, à Paris, en train de pleurer le printemps pendant lequel les enfants de sa tribu sont morts assassinés et le papa d’Akli, Dda-Mekhlouf, Dda Mekhyouf il disait, est mort exilé. Quand il ne pleurait pas, il te racontait, Pedro Páramo… un roman mexicain, où les morts renaissent au printemps. Âzeddine aimait les morts mais vivants!
« Chez Rachid» était d’abord la taverne « Au Rendez-vous des chasseurs » de pti-Joe, si tu connais les hommes, les anciens! Si tu demandes après lui, ici, on te répond toujours comme un conte transmis de mère en fille: « Un grand homme, pti-Joe… Un type qui partageait le pain du bon Dieu même avec les mouches et ne ferait pas de mal même à une araignée… » Après l’indépendance, il avait laissé la taverne à Rachid, son unique employé et le futur grand-père de Azzedine, notre ami. La taverne est devenue Brasserie par le célèbre Djamel, le feu père de Azzedine. Elle ne s’appelle pas « Chez Djamel », parce qu’ici, comme dans les romans sud-américains, dirait notre Ami Azzedine, une réussite est toujours une occasion pour ressusciter nos anciens, nos morts tombés un jour de printemps! La réussite de Djamel était, comme le mentionne l’Amawal et comme on l’apprend maintenant à l’école, était après son but dans la finale africaine des clubs vainqueurs des coupes en 1995 face à l’équipe nigériane du Julius Berger Football Club. C’était le but de la victoire et son ultime but de sa carrière. C’était la première victoire après le départ de Stefan Zywotko et avant l’Époque, notre exode!
Je n’ai aucun souvenir d’avant l’Époque, à part le moment de ce fameux but de Djamel; c’était la fois où j’ai vu ma mère embrasser mon père et ai dansé avec eux sur une célèbre chanson de Lounis… Celle où il célèbre cette équipe de cœur, connue alors sous le nom de la Jeunesse Sportive de Kabylie. Après, ce n’était plus pareil! Le dernier baiser de ma mère à mon père, c’était pendant que celui-ci gisait sur son ultime lit-réfrigéré et les victoires suivantes, pendant l’Époque, étaient prises entre le souci d’un loyer impayé et l’angoisse d’une carte de résidence qui arrivait à échéance!

Le muezzine Samir, qui ne fait aucune différence entre une Sourate du Coran et une chanson de Matoub, vient de faire l’appel à la prière de l’après-midi. Je pense alors commander à Azzedine une Tchektchouka (ratatouille) pour Mohand-Lâarvi qui l’aime avec beaucoup d’huile d’olives de Tanessawt et du poivron fort.
Azzedine, me fait :
-       C’est donc, comme d’hab’, A-Khayi?!
Notre ami, Azzedine, n’attend pas ma réponse…
Il faut dire qu’il connait aussi Mohand-Lâarvi. Il dit qu’il le connait à l’Époque, chez Mourad, Zzi-Mou pour les intimes,  pendant ces soirées interminables où ils chantaient les amours crus perdus de Michelet, un nom, écrit nul part, d’une ville pas loin d’ici… Mais, je pense que sa mémoire le trahit. C’était, au même moment que je fis sa connaissance, à la rue Monsieur le Prince. C’était un vendredi, comme tous les vendredis qui suivirent, je sortais du ciné de chez Youyou et me dirigeais  au bar d’en face, chez Aâmirouche, le bar au dessous de l’Appart ayant vu vivre Pascal, l’auteur posthume des fameuses Pensées, pour nous amuser à inventer,  comme tous les vendredis précédents,  un sentier nouveau menant à Pasolini pour aboutir enfin sur la Kabylie; car notre Kabylie de l’Époque était l’ancienne Italie de Pasolini.  
Cependant, ce vendredi là,  comme tous les vendredis qui suivirent, Mohand-Lâarvi était là pour nous faire un détour par « Le vieil homme et la mer » d’Hemingway pendant qu’il s’incendiait la bouche par la Tchektchouka préparée par notre ami, Azzedine.

J’entends les rires de Nacy dans l’autre salle; elle doit être en train de commander son vin blanc du vendredi en même temps qu’elle aiguise son ironie. Elle s’approche de notre table avec la Tchektchouka de Mohand-Lâarbi qui est maintenant la sienne. En même temps qu'elle prend ma dernière caille, elle déclare qu'elle a faim car elle vient de revenir d’une rando à Tamgout, une célèbre montagne ayant hébergé un célèbre anarchiste local, Arezki Lvachir. Elle m’explique après, que son rituel vin blanc et sa randonnée sont un acquis de l’Époque, qu'elle n'en rejette rien du tout puisque la vie dans cette montagne n’est finalement possible que grâce à la souffrance d’alors…
Voilà que Azzedine arrive,  le prochain coup est pour lui, souhaitant longue vie à ses nouveaux renaissants, Dyla et Hsisou, et emmerdant définitivement les absents. C’est maintenant que Bouâlem entonne le Chant d’Arezki Lvachir, comme chaque vendredi. Ici, loin de chez Aâmirouche, loin du ciné parisien, chez Youyou; Ici, à côté du Souk animé chaque samedi, pas loin de la place où Arezki Lvachir fut guillotiné et où se trouve le « Liberté » ensanglanté de Kamel Irchene.  C’est en Kabylie que nous nous trouvons, maintenant, en train d’attendre Hassen, Dda-Meziane, Zira, Paya et sa fille, comme chaque vendredi.

dimanche 17 août 2014

J’ai surpris un peuple vivre

Je partage, non pas ces vieux textes, mais cette naïveté. Je suis toujours aussi naïf mais avec d'autres mots!



Loin.
A la périphérie de la ville, j’ai surpris un peuple entrain de vivre.
Dans un supermarché. Dans un bar.
Loin.
Loin des touristes envahissants et  insoucieux.

Dans un supermarché à la périphérie de la ville, je vois le peuple entrain de vivre…
Loin. Mais aussi ici, le prix sur le rayon, l’œil sur le prix, la monnaie dans sa paume droite, on compte ses articles. Puis on compte sa monnaie.  La vie ! Loin des touristes.  Loin des musées. Loin des églises.
  • Tu fais quoi Hamid ?
  • Viens Anna, on rentre dans ce bar…

Une fois dans le bar,

  •           2 piwos, Poproché
  •           Je n’aime pas la bière
  •           Ne sois pas imbuvable, comme dit un écrivain de chez moi...

Ne fais pas attention Anna, rien n’est séquentiel, regarde cet homme là-bas, il est entrain de ramasser des pièces par terre, pour se payer un Cola
  •           Hahahaha, l’ironie du sort, pour se payer un Coca-Cola !
  •          Le polonais est un peuple heureux, on dirait que tu veux les voir tristes et pauvres. On n’est plus dans la période des communistes. Les polonais est un peuple heureux.
  •          Vive Solidarnosc, Anna !
  •          Tu es dans les clichés, Hamid !!!!

Dans le bar, des tables parsemés dans la salle. Un homme par table. La brume de cigarette domine le tout. Quelques instants plus tard, toutes les tables sont vides, tout le monde se regroupe autour d’une table. Anna, avec l’accent de Milosz, me dit :
  •          Tu sais, Hamid, je ne sais pas pourquoi, le peuple polonais ne s’unit que dans les moments de détresse.
  •           Oui, Anna, il fait froid mais on a chaud au cœur, Nie rezumiyi Populsku, Tchipracham
  •           Quoi ?
  •           Ça me rappelle les bars d’Alger. De tizi. Ou D’azazga.
  •           C’est aussi comme ça, chez toi ?
  •           Oui, c’est presque comme ça. La différence est la serveuse. Elle ne me rappelle pas chez moi. Mais des nouvelles de Dadda Hank.
  •           C’est qui ?
  •           Buk. Je veux dire Bukowski.
  •           Je ne connais pas !
  •           Ce n’est pas important… Je voulais dire que je veux écrire un long poème dont le titre serait Fragments d’un peuple vivant

Tu vois ces gens, j’ai la tête scotchée à eux ! Mais s’ils parlaient une langue que je comprends, j’aurais tourné la tête ailleurs ! Ce constat me fait peur Anna ! Parce que je conclus, terriblement, qu’on cesse de s’intéresser à quelqu’un quand il devient familier…  Je me fais peur, Anna !
  •           Tu fais quoi Hamid ?
  •           Tu ne vois pas que je m’assoie avec ton peuple.
  •           Tu abordes aussi les gens inconnus chez toi ?
  •           Chez moi, je n’ose pas. Va savoir pourquoi ! C’est peut être parce que je suis un eternel enfant. Et là-bas, les enfants n’ont pas le droit de s’asseoir avec les ainés…
  
Un, deux, trois, quatre… dix-neuf morts !
  •           Dix-neuf ouvriers que Solidarnosc a donnés en 1980…
  •           Pour la liberté !
  •           127 morts chez moi en 2001 ! en 1980 rien, on n’a pas eu la chance de mourir ! Et tu sais quoi, Anna, je viens d’apprendre, par mon ami Kader, que chez nous on est conscient de cette règle : Il faut des morts pour avoir la liberté !
  •           Et vous l’avez eue ?!
  •           On a des Ipodes. Des Iphones. Des 3G. Mais, il nous manque aujourd’hui un Milozc pour écrire ce poème accroché là-bas…

Loin, je surprends un peuple entrain de vivre. Un peuple étranger devient petit à petit familier me fait peur en me rendant compte que je suis irrémédiablement différent.
  •           Ça veut dire quoi irrémédiablement ?
  •           Ça veut dire que je ne pourrai plus me sentir à la maison, chez moi…
  •           Comment ça ?
  •           Pour venir à ce poème, pour qu’un Algérien vienne lire ce poème, il a fallu qu’une italienne intervienne. En somme, grâce à une italienne, un algérien a lu un poème incompréhensible d’un polonais…
  •           Tu sautes du coq à l’âne…
  •           Je suis peut être soûl ... Mais dis moi si les frontière servent à quelque chose?
  •           Oui, ça doit être ça…
  •           C’est ton peuple qui me rend soûl. Anna, je ne sais pas si tu peux comprendre, mais je pense que la différence reflète souvent le soi. Quand on n’aime pas l’autre, c’est qu’on ne s’aime pas. Ton peuple je l’aime, ça voudrait dire que j’aime le mien ? Je vous aime.
  •           Quoi ?
  •           Je te fais peur ?! j’aime ton peuple.
  •           Hamid parle moi…
  •           Oui ?
  •           Arrête avec tes oui 
  •           Ok.
  •           Et avec tes OK !
  •           Oui
  •           Tu fais quoi ?
  •           Ton peuple parle au mien en silence.
  •           Il lui dit quoi ?
  •           Il lui dit que la vie est aussi ailleurs. Ce n’est pas Kundera, mais c’est moi. Je vois les tiens vivre en polonais. Je veux voir les miens vivre en Kabyle. Parce qu’on oublie souvent que nous aussi on fait partie du monde.
  •           Quoi ?
  •            FIN. THE END. TAGARA.  UKOŃCZENIE.



J’ai surpris un peuple entrain de vivre. Loin de touristes insoucieux. Loin de ma mère tourmentée.

mardi 12 août 2014

L'enfant de la révolte

Une voiture déboule devant l'hôpital
Une femme enceinte seule en sort en pleurs
 « Ne me laisse pas; ne me laisser pas » balbutie la femme, en direction de la voiture déjà loin...
D'où, on entend, au même moment, des cris de jeunes
  « Imazighen, Imazighen, Imazighen »

Deux infirmiers accourent avec un brancard, elle perd déjà ses eaux
Pendant qu'on la transporte au service maternité, on lui demande :
   « Où est le père ? Où est le père ? »
Ils courent; ils courent.
Elle pleure; Elle ne répond pas.

Soudain, dehors, un premier tir se fait entendre
Les infirmiers s'immobilisent... Mais vite ils reprennent conscience devant les pleurs incessants de la femme, ils reprennent leurs courses en insistant:
   «Où est le père? Où est le père ?»
Elle pleure; elle répond par «A yemma a tin xedmagh!»

Elle est dans une salle entourée pas des infirmiers
Dehors, l'artère est inondé d'étudiants encerclés par des CRS

C'est l'accouchement. C'est la révolte.

Les blouses blanches lui assènent des «Poussez, Poussez, Poussez... »
Les casques bleus leurs lancent des «Partez, Partez, Partez...»
La femme crie comme un damné: «A yemma a tin xedmagh!»
Les étudiants hurle: «Liberté. Liberté. Liberté»

Les casques bleus chargent, les étudiants en fuyant:
   « Ils arrivent, Ils arrivent, ils arrivent »
La femme pousse, les blouses blanches presse sur son ventre:
   « Il arrive, Il arrive, il arrive »

Le gaz lacrymogène se fait sentir
Les étudiants en pleurs. La mère en pleurs.
   « Poussez, Poussez, encore, encore, encore »
   « Partez, Partez, dégagez, dégagez, dégagez »

L'ultime pression sur le ventre. La première pression sur la détente:
Et le sang voit le jour 
Le sang des martyres dehors. Le sang de l'entre-jambe dedans. 

Le cri de la mère se fait plus que jamais assourdissant:
   « A yemma a tin xedmagh! » 
Un étudiant tombe, les autres:
   « Pouvoir assassin »

L'enfant, entre les bras des blouses-maintenant-rouges, demandent: 
   « Où-est le père? »
L'agonisant, entre les coups de pieds et poings des casques-maintenant-rouges, demandent:
   « Où-est le responsable? »

Le responsable est le père!

dimanche 10 août 2014

Pedro Páramo - Juan Rulfo - Extraits audios

Pedro Páramo est un roman; un classique de la littérature mexicaine; un roman où les morts vivent avec les vivants, le passé se mêle au présent et les mythes sont témoins des révolutions...
 Les lectures, ci-dessous, étaient diffusées, en dix parties, en juin 2012, dans l'émission "Fictions / Le Feuilleton" de la Radio France Culture. Pedro Páramo, le personnage principal du roman, est joué, il faut le souligner, par le comédien Denis Lavant.


Adaptation et réalisation: Laure Egoroff D’après la traduction de Gabriel Iaculli.

Point de départ du roman
 Sur une route désolée de l’état de Jalisco, au Mexique, un homme avance en direction d’un village nommé Comala. Il s’appelle Juan Preciado. Il accomplit une promesse faite à sa mère sur son lit de mort : partir à la recherche de son père, Pedro Páramo, qui autrefois les a abandonnés. Un bourriquier aux paroles énigmatiques accepte de le conduire jusqu’au village qui semble désert. Avant de disparaître, il révèle à Juan Preciado que Pedro Páramo, dont il peut voir se dessiner à l’horizon l’immense propriété, est mort depuis bien longtemps. Juan pourrait rebrousser chemin, mais il pénètre pourtant dans ce village abandonné où une très vieille femme, apparemment l’unique habitante de Comala, semble l’attendre. Elle lui laisse entendre que le bourriquier qui lui a indiqué sa maison est mort depuis des années. A la suite de cette femme, d’autres âmes vagabondes viendront à la rencontre de Juan pour lui raconter l’histoire de son père, Pedro Páramo, le cacique du village qui régna en maître sur les terres et les âmes de Comala, et sema autant d’enfants que de morts derrière lui.

Quelques pistes…
 A première vue, deux époques s’entrecroisent : le présent de la quête de Juan Preciado et le passé qui surgit pour nous laisser entrevoir la vie et les agissements de son père, Pedro Páramo. Mais la construction de l’œuvre se révèle bien plus complexe, et nécessite, selon les dires de l’auteur la « coopération » du lecteur. Le récit n’avance pas de manière linéaire, les différentes temporalités ne s’entrecroisent pas seulement, elles communiquent, se répondent, les morts et les vivants dialoguent. Plusieurs thèmes sont à l’œuvre dans le roman. Il y a, bien sûr, la peinture d’une certaine réalité mexicaine : la pauvreté des villages reculés, la piété de leurs habitants, la tyrannie des propriétaires terriens (la seconde partie du roman a pour toile de fond la Révolution mexicaine). On peut y lire également la quête de l’identité, celle qui pousse Juan à partir à la recherche de son père. Mais Pedro Páramo recèle aussi un thème secret, celui de l’amour absolu et impossible - absolu car impossible ? - du personnage éponyme pour Susana San Juan. Elle est la clef de son univers et de toutes ses entreprises. Du village de Comala sur lequel Pedro Páramo régnait en maître, il reste des voix emprisonnées entre les murs décrépis. Ce sont elles que Juan Preciado entend bourdonner à ses oreilles dans les ruelles enroulées comme les cercles concentriques de l’Enfer. En fin de compte, ce que nous donne à entendre Pedro Páramo, à travers sa construction polyphonique, ce sont ces voix, répétant à l’infini « pour les siècles des siècles » leur « llanto ». Les histoires singulières des nombreux personnages du roman, la quête sans fin à laquelle chacun d’eux est condamné, convergent en une longue plainte collective, la douleur et la faute ressassées que rien, pas même la mort, ne peut apaiser. 

Le roman
 Ecrit entre 1953 et 1954, publié pour la première fois au Mexique en 1955 aux éditions Fondo de Cultura Económica. On a d'abord lu Pedro Páramo comme un roman "rural" et "paysan", voire comme un exemple de la meilleure littérature "indigéniste". Mais les innovations qu’il présentait au moment de sa publication sur le plan des thèmes, du style et de la construction narrative, ont valu au roman une place singulière dans les lettres mexicaines. Le renouveau de la fiction narrative dans le roman latino-américain des années 60 doit beaucoup à Pedro Páramo. Carlos Fuentes écrivait à son sujet : « L’œuvre de Juan Rulfo n’est pas seulement la plus haute expression à laquelle soit parvenu, jusqu’à maintenant, le roman mexicain : à travers Pedro Páramo, nous pouvons trouver le fil qui nous conduit au nouveau roman latino-américain. » Aujourd'hui, ce texte de 154 pages, l’unique roman de Juan Rulfo, est considéré, tout simplement, comme l'une des plus grandes œuvres du XXe siècle. 

L’auteur
 Juan Rulfo (1917-1986) est l'une des figures majeures de la littérature mexicaine contemporaine. Son œuvre est constituée de trois livres - le recueil de nouvelles Le Llano en flammes, le roman Pedro Páramo et Le coq d'or et autres textes pour le cinéma, tous publiés aux éditions Gallimard. Ils ont marqué un renouveau de la fiction narrative, annonçant la révolution du réalisme magique dans les lettres latino-américaines.