lundi 26 juin 2017

Les Serranos - La ville et les chiens - Extrait


      Par contre, qu'est-ce ça m'a choqué en entrant ici (un college) de voir cette quantité de serranos. On dirait que toute la Puna s'est donné rendez-vous ici, ..., vingt dieux, des serranos jusqu'au bout des ongles, comme ce pauvre Cava. Dans la section il y en a plusieurs mais chez lui ça se voyait plus que chez n'importe qui d'autre. Ces cheveux! J'arrive pas à m'expliquer comment un homme peut avoir des cheveux raides. Il y a pas de doute, ça lui faisait honte. Il voulait se les aplatir et il s'achetait je ne sais quelle brillantine, il s'en baignait la tête pour que ses cheveux ne se hérissent pas, il devait en avoir mal au bras à force de se peigner et de se passer des saloperies. On aurait dit qu'ils se fixaient lorsque, tac, un cheveux se relevait, puis un autre, et puis cinquante, et puis mille, surtout ceux des pattes, là où les cheveux des serranos se hérissent comme des aiguilles, et derrière aussi, au-dessus de la nuque. Le serrano Cava était à moitié fou tellement on lui en faisait baver à cause de ses cheveux et de sa brillantine qui répondait une odeur dégueulasse de pourriture. Je me rappellerai toujours comme on lui en faisait baver quand il se ramenait avec la tête brillante, on l'entourait tous et on se mettait à compter, un, deux, trois, quatre, à tue-tête, on était pas arrivé à dix que ses cheveux avaient déjà sautés, il en était vert, et ses cheveux qui sautaient l'un après l'autre, avant qu'on ait compté jusqu'à cinquante, ses cheveux lui faisaient comme un chapeau d'épines.

La ville et les chiens, Mario Vargas Llosa, pp. 305.

samedi 10 juin 2017

Tous sangs mêlés - José Maria Arguedas - Extrait

    Hommes et femmes essayaient d'assimiler rapidement les manières liméniennes, ils apprenaient les danses à la mode, adoptaient les vêtements et les coiffures imposés par l'influence américaine. La plupart de ces émigrés mettaient de l'exagération dans leur façon de s'urbaniser ; et de danser les danses à la mode ; voulant montrer qu'ils les connaissaient parfaitement, ils donnaient à l'affluence serrée des salles louées un air grotesque et triste à la fois pour un spectateur sensible. Il était évident que nombre de ces couples ne s'amusaient pas, qu'ils faisaient semblant ; ils se donnaient beaucoup de mal pour se tortiller et suivre le rythme endiablé ou très lent des danses afro-cubaines ou afro-américaines. Dans leurs muscles régnait encore la "lourdeur" du montagnard des Andes, au corps durci par la pratique des grandes montées, des grandes descentes, par l'air respiré sur les hauteurs. Enfin ! Pour mettre un terme à la fête on jouait un huayno ou une passacaille. Alors de nombreux couples s'élançaient pour danser, comme des prisonniers soudain élargis, et ils étaient heureux ; d'autres, surtout du côté des femmes, dansaient sans entrain, parce qu'ils voulaient montrer qu'ils étaient déjà totalement "dé provincialisés", qu'ils avaient oublié le huayno, et on ne manquait pas de voir des hommes et des femmes qui ne se levaient pas pour les danses de leurs pays et déclaraient hautement qu'ils les avaient oubliées ; la honte les en empêchait ; c'était les mêmes qui refusaient de parler quéchua et qui suaient sang et eau pour danser avec la plus grande habileté possible les danses étrangères. 

 pp. 351 et 352.