vendredi 28 novembre 2014

Speak White - Lalonde et Falardeau



Speak white!
Il est si beau de vous entendre
Parler de Paradise Lost
Ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare


Nous sommes un peuple inculte et bègue
Mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue
Parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
Speak white!
Et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse
Que les chants rauques de nos ancêtres
Et le chagrin de Nelligan


Speak white!
Parlez de choses et d’autres
Parlez-nous de la Grande Charte
Ou du monument à Lincoln
Du charme gris de la Tamise
De l’eau rose du Potomac
Parlez-nous de vos traditions
Nous sommes un peuple peu brillant
Mais fort capable d’apprécier
Toute l’importance des crumpets
Ou du Boston Tea Party


Mais quand vous really speak white
Quand vous get down to brass tacks


Pour parler du gracious living
Et parler du standard de vie
Et de la Grande Société
Un peu plus fort alors speak white
Haussez vos voix de contremaîtres
Nous sommes un peu durs d’oreille
Nous vivons trop près des machines
Et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils


Speak white and loud!
Qu’on vous entende
De Saint-Henri à Saint-Domingue
Oui quelle admirable langue
Pour embaucher
Donner des ordres
Fixer l’heure de la mort à l’ouvrage
Et de la pause qui rafraîchit
Et ravigote le dollar


Speak white!
Tell us that God is a great big shot
And that we’re paid to trust him
Speak white!
Parlez-nous production, profits et pourcentages
Speak white!
C’est une langue riche
Pour acheter
Mais pour se vendre
Mais pour se vendre à perte d’âme
Mais pour se vendre


Ah! Speak white!
Big deal
Mais pour vous dire
L’éternité d’un jour de grève
Pour raconter
Une vie de peuple-concierge
Mais pour rentrer chez nous le soir
A l’heure où le soleil s’en vient crever au-dessus des ruelles
Mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui
Chaque jour de nos vies à l’est de vos empires
Rien ne vaut une langue à jurons
Notre parlure pas très propre
Tachée de cambouis et d’huile


Speak white!
Soyez à l’aise dans vos mots
Nous sommes un peuple rancunier


Mais ne reprochons à personne
D’avoir le monopole
De la correction de langage


Dans la langue douce de Shakespeare
Avec l’accent de Longfellow
Parlez un français pur et atrocement blanc
Comme au Viêt-Nam au Congo
Parlez un allemand impeccable
Une étoile jaune entre les dents
Parlez russe, parlez rappel à l’ordre, parlez répression
Speak white!
C’est une langue universelle
Nous sommes nés pour la comprendre
Avec ses mots lacrymogènes
Avec ses mots matraques


Speak white!
Tell us again about Freedom and Democracy
Nous savons que liberté est un mot noir
Comme la misère est nègre
Et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger ou de Little Rock


Speak white!
De Westminster à Washington, relayez-vous!
Speak white comme à Wall Street
White comme à Watts
Be civilized
Et comprenez notre parler de circonstance
Quand vous nous demandez poliment
How do you do?
Et nous entendez vous répondre
We’re doing all right
We’re doing fine
We are not alone


Nous savons que nous ne sommes pas seuls

samedi 22 novembre 2014

Pays d'aucun mal - El-Mahdi Acherchour - Extrait

"
    Les hommes s'appelaient tous Amnar ou quelque chose comme ça, et les étoiles quelque chose comme étoiles, peu importe, ce ne sont pas des hommes.
    Les Amnar étaient tous des hommes. Des hommes de plus en plus hommes. Des hommes tout simplement peu importants. C'est ça, peu importe ce qu'ils avaient fait de leur humanité et de leurs choses; c'est ça, peu de chose.
    On dit qu'une voix inconnue et féminine, muette et secrète dans leurs désirs, avait fait d'eux, les mêmes hommes, les mauvais hommes, quelque chose comme esclaves de son propre désir.
    Ils obéissaient tout simplement à ça et à leur propre nom, Amnar. C'est ça, Amnar. Ils obéissaient à l'autre qu'ils n'avaient pas nommé et au mal immodérément tastaïen qu'ils n'avaient ni compris ni expliqué.
    Une nuit, ils nommèrent leur coin de terre, Tasta qui, une autre nuit, devint soudainement, secrètement et inexplicablement Tasta-Guilef. C'est ça, Tasta-Guilef."
Pays d'aucun mal, pp. 44.


Pierre Bergounioux - Le Matin des origines - Extrait

"
    Je ne devrais pas me souvenir. D'ailleurs je ne me rappelle pas que la Corrèze dont je suis originaire et où j'ai vécu dix-sept années durant, ait été à aucun moment revêtue d'azur et d'or comme le Lot où j'ai pu passer une quinzaine de jours en six ans, les premiers. Elle a dû l'être, portant, mais les jours, les années, la clarté pâle et froide où nous nous avançons, l'habitude ont oblitéré, emporté le lustre éclatant dont une puissance mystérieuse pare d'abord toute chose afin que nous restions. Et si le Quercy se dresse, dans ma mémoire, comme ma demeure véritable et la terre des merveilles, c'est parce que je l'ai quitté sans retour avant que le temps, l'âge ne le dépouillent, lui aussi, de la splendeur que je suppose uniformément répandue sur la terre aux yeux de ceux dont les yeux s'ouvrent.

    Je possède quelques images de l'époque où s'éveille en nous le sentiment de l'existence. Plus exactement, le sentiment de la vie, de la mienne, à ce qu'il paraît, a fixé l'image de lieux où je ne devais plus revenir, de l'instant où l'on s'éveille aux lieux, aux instants.

    Elle n'est que pour moi. Ceux qui étaient alors dans la force de l'age n'ont rien vu que d'habituel. Ils n'ont rien vu. Je n'ai même pas la ressource d'obtenir d'eux — les survivants — un élément de preuve, une confirmation. La vie réelle, la leur, alors, a traversé ces éblouissements sans en garder trace. Ils n'ont pas transfiguré, pour elle, une fleur en forme de balustre, une odeur, un chemin à midi qui, maintenant encore, malgré l'éloignement et la destruction, m'exaltent parce que je les ai découverts à l'instant critique où l'on est tenté de ne pas vouloir, de dormir toujours. Alors la vie s'avance à notre rencontre dans sa gloire et sa magnificence pour nous éveiller tout à fait."
Le Matin des origines, pp. 9-11.


 

vendredi 7 novembre 2014

lundi 3 novembre 2014

Vivre et écrire en Algérie - Documentaire

C'est déjà un autre pays, une autre Algérie, une autre abime!

 Les belles étrangères, vivre et écrire en Algérie. Arte, 2003, 78mn.

Avec : El Mahdi Acherchour - H’mida Ayachi - Habib Ayyoub - Mustapha Benfodil - Maissa Bey - Sofiane Hadjadj – Rachida Khouazem - Bachir Mefti - Areski Mellal - Yasmina Salah - Boualem Sansal - Mohamed Sari - Amin Zaoui

"L’Algérie, aujourd’hui, fait peur. Aux innombrables attentats, aux massacres se sont ajoutées les catastrophes naturelles. Dans ces situations d’extrême urgence, l’administration s’est révélée impuissante, les hommes politiques n’ont plus aucune crédibilité, on a assisté au début des années 90 à une véritable faillite de l’état, la plus grande partie de la population vit dans un climat de peur et de tension permanente, les intellectuels se sont, pour la plupart, tus pour longtemps. Parler, écrire, éditer, c’est, plus qu’ailleurs, assumer une responsabilité décisive.

Les écrivains algériens, Sofiane Hadjaj également éditeur et le poète El Mahdi Acherchour, qui témoignent ici, ont en commun d’avoir choisi de rester en Algérie dans les conditions que l’on sait : ces dix dernières années, 80% des élites algériennes ont dû choisir l’exil, ont dû quitter un pays sinistré. On ne compte plus les intellectuels, les journalistes, les écrivains assassinés.

Les écrivains algériens les plus connus vivent, écrivent et sont publiés en France. Mais il y a une nouvelle génération, celle de ceux qui ont choisi de rester et de témoigner, malgré la menace physique du terrorisme islamique, dans un pays où 75% de la population a moins de vingt ans. Pour eux, l’acte d’écrire ne relève pas du divertissement : il est le seul acte de totale liberté."

Site: http://www.centrenationaldulivre.fr/belles_etrangeres_2003/