vendredi 26 septembre 2014

Dda-Saïd, l'Ancien





Le cadre montre Jeddi, Massine et moi-même.


La photo était gardée durant plus de 10 ans par Dda-Saïd, un cousin, le vieux maquisard qui se faisait prendre à chaque contre attaque de l'armée française.

En 2013, Nna Wiza, la femme de Dda-Saïd, est venue me voir m'apportant la cadre et me raconter que je sortais de l'hôpital, Jeddi, quelques-mois plus tard, décédait; lui, Dda-Saïd, son défunt mari, avait demandé une photo à Dda-ye-Hha, un autre cousin, photographe de la famille, de son cousin ainé Jeddi et de son pti fiston, Moi, le judas-virtuel; il avait demandé aussi qu'on lui fasse un cadre et le déposer au dessus de son Kanoun (sa cheminée).


C'était ce cadre, le mien!


Entre 93, l'année de la mort de Jeddi, et celle de la mort de Dda-Saïd, il ne s'était pas fait prendre; il cachait le cadre à chaque fois que nous lui rendons visite. Dda-Saïd, mieux que sa résistance face à l'occupant, nous aimait en silence; il le faisait sans faire de bruits.


Jeddi était décédé en 93. 
Lui, Dda-Saïd, c'était vers 2005. 
Moi, je suis encore Vivant... 
Et je les aime, comme vous lisez, en me faisant prendre aux mots !

dimanche 14 septembre 2014

La bête lumineuse - Pierre Perrault - Documentaire

"... C'est peut-être pas la chasse à l'orignal qui est importante; c'est d'être dans le bois, être avec des chums, prendre un coup solide, se conter des salades... après ça, péter au frette, se travailler avec des couteaux dans le dos…" minute 117

Au festival de Cannes de 1983, avec ce film, Pierre Perrault répondait à la question d'un journaliste, " Pourquoi vous n'avez pas envie de voir le film de Gainsbourg?", comme suit:
" Parce que moi j'va pas au cinéma; j'aime pas ça voir des films de parades; des films qui essaient de scandaliser; c'est fait pour les enfants ça; ça m'intéresse pas du tout... C'est pour ça que, ce que je fais n'a peut-être pas sa place, tout à fait, ici... C'est la cathédrale du cinéma ici, toutes les idoles sont là, se promènent dans la rue. Les personnages comme les miens, les personnages de la Vie, sont condamnés à être spectateurs. Ce sont ces hommes là qui m'intéressent, ces hommes de chair et de sang; les bergers m'intéressent mais pas Jane Fonda en bergère!"



La bête lumineuse, documentaire de Pierre Perrault, 127 mn, 1982, Québec: Le chef d’œuvre cinématographique de Pierre Perrault sur "la traditionnelle chasse à l’orignal, prétexte à fouiller l’âme québécoise. Dans une cabane de Maniwaki, des citadins opèrent leur annuel retour à la nature. Plaisir de se mesurer aux éléments, et de connaître ses limites! Expérience de la mort pour exorciser sa propre mort et renouer avec la chaîne entière de la vie! Mais aussi, esprit de panache, de bravache et de vantardise, et transposition de moeurs sauvages de la meute au sein du groupe d'amis, où on a tôt fait de repérer un souffre-douleur. Une magistrale partie de chasse, une mythologie bien de chez-nous." (Synopsis)

jeudi 11 septembre 2014

La vie brève - Juan Carlos Onetti - Extrait


      « Je suis à l'âge où la vie commence à sourire en grimaçant. » Sans protester, je me faisais à l'idée de la disparition de Gertrudis, de Raquel, de Stein, de toutes les personnes que je devais aimer, admettant ma solitude, comme j'avais admis jusque-là ma tristesse. « A sourire en grimaçant. » Et on découvre que la vie, depuis de longues années, est faite de malentendus. Gertrudis, mon travail, mon amitié pour Stein, le sentiment que j'ai de ma personne : des malentendus. En dehors de ça, rien. Parfois l'occasion d'oublier, des plaisirs qui arrivent et repartent empoisonnés. Peut-être toute forme d'existence possible pour moi est-elle condamnée à dégénérer en malentendu. Tant pis. En attendant, je suis ce petit homme timide, immuable, marié à la seule femme qu'il a pu séduire ou qui l'a séduit, incapable d'être autre chose et même d'avoir la volonté de se transformer. Le petit homme qui déplaît dans la mesure où il impose la pitié, le petit homme perdu dans la légion des petits hommes auxquels on a promis le royaume des cieux. L'ascète, comme dit Stein en se moquant, ascète par l'impossibilité qui est la mienne de me passionner et non par l'acceptation absurde d'une conviction éventuellement mutilée. Ce moi inexistant dans le taxi, simple incarnation de l'idée Juan Maria Brausen, symbole bipède d'un puritanisme bon marché fait de négation - non à l'alcool, non au tabac, et non aux femmes -, n'est personne en réalité; un nom, trois mots, une idée de rien mécaniquement construite par mon père, sans oppositions, pour que ses négations elles aussi héritées continuent d'agiter les prétentieuses petites têtes après sa mort. Le petit homme empêtré en définitive dans les malentendus, comme tout le monde. C'est peut-être ce qu'on comprend avec l'âge, peut à peu, sans s'en rendre compte. Nos os le savent peut-être et quand nous sommes résolus et désespérés, au bord du grand mur qui nous emprisonne et qu'il serait aisé de sauter si c'était possible; quand nous sommes presque prêts à admettre que, finalement, seul le moi a de l'importance car il est l'unique chose qui nous ait été indiscutablement confiée; quand nous entrevoyons que seul notre propre salut peut être un impératif moral, qu'il est le seul élément moral; quand nous réussissons à respirer par une lézarde imprévue l'air natal qui vibre et appelle de l'autre côté du mur, à imaginer l'allégresse, le mépris et l'aisance; alors peut-être sentons-nous peser, comme un squelette de plomb, cette conviction que tout malentendu est supportable jusqu'à la mort, hormis celui que nous parvenons à découvrir en dehors de nos circonstances personnelle, en dehors des responsabilités que nous pouvons rejeter, attribuer ou détourner.