samedi 18 avril 2015

Le rois du bois - Pierre Michon - Quatrième de couverture et Extrait

Un jour où, comme à l'accoutumée, il mène glander les porcs à travers la chênaie, un jeune paysan voit un carrosse s'arrêter dans le chemin. Une fille très parée en descend et trousse haut ses jupes sous les yeux stupéfaits de l'enfant caché dans les fougères.

Cette apparition éblouissante, la chair blanche et les dentelles, le pouvoir qu'ont les puissants de jouir avec arrogance du luxe et de la beauté, il va désirer les faire siens.

Arraché à sa condition, il restera pendant vingt ans au service du peintre Claude le Lorrain. Mais la peinture n'aura pas su le faire prince et combler ses espérances.

C'est, pour finir, au coeur des bois qu'il se taille son royaume, un royaume sans illusions, simple et noir, fait de jouissances immédiates et d'un dépit triomphant qui fait résonner dans l'ultime phrase du livre ses accents diaboliques : " Maudissez le monde, il vous le rend bien. "

 

"
    J'avais vu la nudité de bien d'autres femmes. Je connaissais aussi l'usage immodéré qu'elles en font, quand sous un homme elles bougent, disjointes mais de toutes leurs forces refermées, luttant avec ce rien qui les comble. Mais pour belles qu'elles fussent parfois, celles que j'avais vues ainsi entreprises n'avaient pas la jambe blanche ni de torsades aux cheveux, et leurs robes sous lesquelles des vachers s'amusaient étaient faites de ces étoffes indécises dans quoi nous autres emballons tout ce qui se consomme et doit disparaître, mais pas tout de suite, pas tout à fait, nos grains comme nos femmes, nos trois écus, nos morts, nos fromages. Surtout, elles avaient de la vergogne, et ne savaient pas en jouer, peut-être parce qu'elles croyaient que leur vergogne à elles ne dissimulait rien; et comment eussent-elles pu s'étonner et s'éjouir de la saleté clandestine qui nous emplit et peut-être nous fonde, elles dont la saleté était l'élément et comme la peau, l'air qu'elles respiraient sur les troupeaux et la terre pourrie qui leur giclait aux orteils dans les étables, et sur elles à demeure installé le suint du corps vil qui travaille, et qui même besogné, disjoint, hurlant, a l'air de travailler encore; et à ce titre, pue"
pp. 21 et 22.

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