mercredi 11 octobre 2017

Pasolini - Lettres luthériennes - Extrait

Sujet pour un film sur un agent de police 

 La société préconsumériste avait besoin d'hommes forts, donc chastes. La société de consommation a besoin au contraire d'hommes faibles, donc luxurieux. Au mythe de la femme enfermée et séparée (dont l'obligation de chasteté impliquait la chasteté de l'homme) s'est substitué le mythe de la femme ouverte et proche, toujours à disposition. Au triomphe de l'amitié entre hommes et de l'érection s'est substitué le triomphe du couple et de l'impuissance. Les hommes jeunes sont traumatisés par l'obligation, que leur impose la permissivité, de faire tout le temps et librement l'amour. Ils sont traumatisés en même temps par la déception que leur "spectre" a procuré aux femmes qui auparavant ne le connaissaient pas et qui le mythifiaient, en l'acceptant passivement. En outre, l'éducation ou initiation à la société, qui s'effectuait auparavant dans un espace platoniquement homosexuel, est maintenant hétérosexuelle dès la première puberté, et se réalise par des accouplements précoces. Cependant, étant donné l'hérédité millénaire, la femme n'est pas encore en état de donner un apport pédagogique libre : elle tend encore à la codification. Et celle-ci, aujourd'hui, ne peut être qu'une codification conformiste que jamais dans le sens voulu par le pouvoir bourgeois, alors que la vieille auto-éducation, entre garçons ou entre filles, obéissait à des règles populaires (dont l'archétype sublime reste la démocratie athénienne). Le consumérisme a donc définitivement humilié la femme en créant d'elle un mythe terroriste. Les jeunes garçons qui marchent presque religieusement dans la rue en tenant, d'un air protecteur, une main sur l'épaule de la jeune fille, ou en lui serrant romantiquement la main, font rire ou bien serrent le coeur. Rien n'est plus insincère qu'un tel rapport réalisé concrètement par le couple de la société de consommation.



 Lettres luthériennes, pp. 121 et 122.

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